Groupement Haute-Savoie
Centre Saint Pierre de Rumilly
Rédaction : René Méjean, ancien chef de centre à Jeunesse et Montagne,
ancien pilote Armée de l’Air
(d’après archives personnelles, courrier, presse, etc)
Structure, centres, centre bas « Hubert Petit de Mirbeck », et équipes
A Saint-Pierre de Rumilly, JM vient de créer le Groupement Haute-Savoie où je suis affecté comme chef de centre.
Le groupement comprend trois centres :
Le premier, centre Guillaumet (1), aux Contamines, au pied ouest du massif du Mont Blanc, au-delà de Saint Gervais, dans la vallée menant au col du Bonhomme, commandé par Joseph Riss.
Le second est le centre Hyvernaud, à Thorens, à l’entrée du plateau des Glières, fief des comtes de Roussy de Sales, la famille de notre commissaire chef de Jeunesse et Montagne, commandé par Hubert Ménétrier, qui, hélas, par suite de maladie ne pourra effectuer une belle carrière dans l’armée de l’Air.
Le centre « bas », comme on l’appelle, baptisé Hubert Petit de Mirbeck, le mien, complète la panoplie.
Le groupement assure en sus, le support administratif du Centre Ecole de Montroc de Robert Thollon.
Le groupement est commandé par le capitaine Calmon, avec le capitaine Poncet (polytechnicien), comme second, les deux très sympas.
A mi-distance, entre Bonneville et Saint-Pierre-de-Rumilly, la structure qui nous abrite est une ancienne usine désaffectée, réquisitionnée, avec les vastes locaux, nécessaires pour la logistique du groupement (services, garage, ateliers de réparation, intendance et bureaux). Le site est sur la commune de Saint-Pierre mais se situe hors du village, le long de la route toute droite Bonneville-Saint-Pierre, à mi-distance entre les deux localités et donc en pleine campagne.
Deux ou trois villas et un petit café restaurant complètent le paysage. La mère Bufflier, la charmante petite dame qui tient cet établissement à quelques dizaines de mètres d’encablure du Groupement sera ravie de servir le repas de midi que les chefs (une vingtaine) prennent chez elle.
(1) Ce centre avait été créé par l’un des pionniers de JM, Henri Combier. Installé à Saint-Bon, en Oisans, avec une équipe aux Allues en aval de Méribel, commandée parMaurice Travers. Le centre déménagera vers Les Contamines en octobre 1942, Joseph Riss en prenant le commandement...
Les équipes du Centre Petit de Mirbeck.
Les jeunes travaillent dans les bureaux ou services du groupement et du Centre mais ils sont affectés, logés, nourris, encadrés et vivent donc au Centre Hubert Petit de Mirbeck (2).
J’avais donc en charge, sur place, installée dans les grands bâtiments d’usine, une grosse équipe (30 personnes), bien encadrée, entre autres, par Jacques Foucart qui, de là, sera affecté en juillet 1943, au centre de Thorens, chez Ménétrier.
L’équipe sera tout de suite revitalisée avec l’affectation du remplaçant, Martz, un alsacien, garçon remarquable, Il s’impliquera dans la dynamisation du foyer d’équipe déjà en fonctionnement. C’est l’équipe tout entière qui réalisera son insigne sous le patronyme du capitaine « Trouillard» (avec la devise « Maintenir ») chasseur abattu le 13 mai 1940, au-dessus de la Hollande (3).
D’autres équipes sont installées dans les environs.
(2) Nom, comme pour chaque Centre ou équipe, donné d’un aviateur mort en combat aérien en 1940. Pour nous, un
capitaine aviateur né en 1907, descendu en avril 1940. Marié en 1934 à Violette Boyer (1914 – 1945), il aura quatre
enfants, Gilbert, Dominique (mariée à Jean-François Deniau), Sabine et Marie-Colette.
(3) Le capitaine Trouillard sera inhumé à Etten aux Pays-Bas, dont la famille régnante a pour devise « Je
maintiendrai » ; l’insigne montre un condor planant haut au dessus de montagne, le tout sur fond des
blasons rouge et jaune des Comtes de Faucigny et de la croix de la Savoie.
D’abord, Fonteilles (4), chef d’un groupe réparti en deux équipes :
L’une « Pécou », forte de 24 jeunes bonshommes commandée par Wertheimer (5), installée dans une grande ferme paysanne (les Plans), au bord du Borne, non loin du Petit-Bornand-Glières sur la commune d’Entremont, à quelques kilomètres plus loin dans la vallée rejoignant Saint-Jean-de-Six, La Clusaz et les Aravis. René Pécou, capitaine, chef d’escadrille d’un groupe de Reconnaissance, est mort en janvier 1940, abattu en combat aérien, l’insigne représente montagne et four à charbon de bois fumant.
La seconde, l’équipe Rambaud est commandée par Chalons (6), puis Labour.
Les deux chalets, loués, sont largement séparés, l’un à gauche de la vallée du Borne, et l’autre un peu plus loin et en hauteur, à droite.
Le groupe est attelé à la fabrication du charbon de bois, coupe et carbonisation (700 tonnes de bois abattu et 75 tonnes de charbon de bois produit).
Le chalet sera pillé par des maquisards d’une autre vallée, en 1943.
Enfin un chalet, a été loué à Brison, petite commune accessible par Mont-
Saxonnex, située à 1000 mètres d’altitude, au-dessus de Saint-Pierre et Bonneville,
sous la barre de hauteurs de la pointe d’Anday (1050 m), et abrite une équipe de 24
volontaires, l'équipe Lefroid (7).
Dans toutes ces équipes, les moniteurs alpins et agents sont plus occupés aux coupes de bois et à la fabrication du charbon de bois pour l’hiver qui vient qu’à faire ski ou montagne sauf une importante équipée au Mont Blanc vers avril 1943.
(4) Mon cher Fonteilles, grand du vol à voile, chef autoritaire et strict mais sans responsabilité exacteau
niveau de la structure JM. Le groupe n’a aucun moyen et le chef ne vit pas avec les hommes.
Contrairement aux chefs d’équipe qui vivent avec leurs 24 volontaires dans le chalet et sont en contact
permanent, entourés d’un moniteur de montagne (souvent des guides « chamoniard ») et d’un ou deux
agents (ex sous-officier Air).
(5) Philippe Wertheimer était de la promotion 1940 (promotion Steunou) de l’école de l’Air « clandestine »
formée à Montaudran (Toulouse) avec comme chef de promo, le capitaine Archaimbault. Jarry, Michel,
Jean Cardot, Labour, Glavany sont de cette promo etsont tous passés par JM, même si plusieurs sont
partis très vite pour des destins singuliers (Jean Cardot, Glavany, Labour).
(6) Chalons était un chef extraordinaire de prestance,d’autorité et d’exemple. Il sera tué à Paris, où,
démobilisé, il s’était intégré à la Résistance dans une structure parisienne. Labour qui le remplacera est
cité ci-dessus.
(7) Lefroid est un de mes camarades de promotion (septembre 1939) de Saint-Cyr, affecté en Syrie
comme observateur (nous n’avions pu terminer notre pilotage en juin 1940) et descendu au cours d’une
mission au Liban.
Il y avait beaucoup de chefs, cadres de toutes spécialités au centre et à l’Etat- major du groupement. L’ambiance était très détendue, en particulier lors des repas de midi, chez la mère Bufflier. Poncet était de la partie alors que Calmon, le patron rentrait pour déjeuner chez lui.
Le groupement a attiré des chefs de service plutôt plus âgés, anciens officiers ou sous-officiers de l’Air avec leurs petites familles et le centre sera bien pourvu en cadres chefs d’équipe jeunes, sortant de l’Ecole del’Air, sans brevet navigant bien sûr.
Le logement est assuré, pour la plupart des cadres,à Bonneville, chef-lieu de canton, ville importante de 10 000 habitants.
D’où une impression de sollicitude et d’entourage confiant. D’autant que nous avions de nombreuses visites de liaison des cadres des autres centres.
Mon correspondant direct au groupement était le capitaine Poncet, second du
Groupement dont je dépends. Je suis très proche de ce polytechnicien, de belle
prestance, sportif, plein d’idées et de dynamisme,généreux, proche des gens et
que je côtoie volontiers. En fin 1943, il sera avecnous pour le temps de Périgueux,
l’embryon de groupement installé à Gourdon à 100 km à l’est. Jusqu’au bout.
Egalement les Karcher, le ménage du toubib du Groupement !
L’atmosphère commence à peser. Nous sommes fin 42, les alliés accumulent ; des succès, dont en fin novembre, le débarquement américain en AFN et la rupture avec la France Métropolitaine.
Et, toutes les nuits, le sourd bourdonnement de l’aviation alliée allant bombarder l’Italie nous fait ressentir la réalité de la guerre et les retournements de situations pour le Reich.
Dès le 15 janvier 1943,le Service du Travail Obligatoire en Allemagne (S.T.O.) est institué, auquel les jeunes gens sont astreints selon les classes d’âge appelées. Cela touche nos volontaires.
Des maquis se forment et attirent l’attention.
On fait mention d’arrestations de « terroristes », comme les appellent les Allemands, désormais remplaçant, manu militari, la débonnaire commission de contrôle Italienne.
Le seul point positif, dans cette affaire, est que les jeunes étant des volontaires, l’ordre de STO était individuel, et de responsabilité de l’Etat. Nous n’avions donc pas à intervenir dans la mise en route de ceux désignés qui reçoivent l’ordre de départ par courrier. Les convois se forment sous la responsabilité des gendarmes.
Et les jeunes nous demandent que faire ? Nous ne pouvons répondre et les conseiller car ou ils partent ou ils sont obligés àla clandestinité, rejoindre les endroits cachés et les « maquis » qui se forment.
Que pouvons-nous leur dire, en toute conscience : c’est un choix personnel pour chacun, engageant sa situation familiale et sapropre volonté. Nous n’avons pas le droit d’influencer en quoi que ce soit une vie personnelle ? Pour ma part, je serai contacté par mon cousin Yves qui sert dans une des équipes et je lui conseillerai, mais plus que discrètement, de rejoindre le Vercors, comme il en avait l’intention.Nota de 2010 –
« Nous savions, pour nous, les chefs que nous serions aussi dans le cadre de cet appel au STO mais tout est fait pour que nous en soyons dispensés. Les généraux à Vichy s’en soucient en sous-main et en clandestinité, en quelque sorte, essayant de trouver la parade pour nous éviter, à tout prix, le départ de France !
Nous savions que nous ferions quelque chose le moment venu. Nous vivions tous dans cette idée mais il ne fallait rien dire, bouche cousue !!! »
On conçoit que l’atmosphère entre chef et volontaires soit moins confiante. Roussy de Sales, conscient du problème, proposera même de dissoudre JM, mais les plans sont autres et JM doit rester mouvement officiel jusqu’au moment opportun.
Donc on continue dans cette atmosphère de jour le jour : la vie se déroule strictement, dans la continuité des tâches quotidiennes, sans perspective et sans avenir. En l’absence de correspondance, les quelques notes prises par écrit, à cette époque, montrent combien l’enthousiasme est loin !
Cet afflux de clandestins> interpelle les autorités françaises puis allemandes. Ainsi tout près, le maquis des Glières,du capitaine 27e BCA, Tom Morel ! Notre équipe d’Entremont se situe juste sous le plateau, au-dessous d’une des bases de ce maquis. Des relations s‘établiront entre Wertheimer, le chef d’équipe et ce maquis. Des réfractaires venus d’ailleurs, vont venir se servir (vêtements, matériel), chez nous, à Entremont.
Puis vers mars 43, ce sera la montée, via Thorens, des groupes de GMR envoyés par Vichy et un peu plus tard l’assaut allemand (8).
Ce sera tout ! Impression de service abstrait, juste faire marcher ce qui doit marcher sans but et sans plan précis. Tout nous est dicté de l’extérieur. Impression de fin de monde et d’absolue obscurité sur l’avenir.
Notule !
Ici peut donc reprendre, en ce qui me concerne, le détail des journées du Centre, jusqu’à son transfert à Périgueux, en fin 1943, et à sa vie là-bas, jusqu’à juin 1944, la libération du sud de la France en juillet 1944.
Pour ce, je fais appel d’une part à un journal personnel que je tiens sur éphéméride et d’autre part, en sus, de septembre 43 à fin janvier 44, à mes lettres à mon épouse.
(8) Philippe Wertheimer qui commandait cette équipe avait des relations avec le maquis des Glières, just au-dessus d’eux. Il était discrètement monté plusieurs fois là-haut, avec provisions. Un jour, il constaté que cet endroit de refuge du maquis de TomMorel avait été abandonné. Cela s’est su en hau lieu régional et il a été convoqué par le préfet à Annecy bien au courant des habitudes du maquis Après avoir fait répéter par Philippe que l’endroit avait bien été évacué, le préfet fit entrer le colonel de gendarmerie de Haute Savoie et lui dit : « Vous voyez, ce témoignage est sérieux, vous pouvez annuler l’opération prévue sur cet axe ! ». On sait que les premières attaques contre les Glières furent menée par les forces de police et gendarmerie françaises.
Saint-Pierre, lundi 16 novembre 1942.
Gros travail : les bureaux ont été changés. Le volontaire Charmes a pris la direction des administratifs. Visite, au centre, des chefs d’équipe Coley (Brison), Nedelec et Fonteilles (Entremont). Règlement de nombreux litiges. Le bois commence à descendre. Vu une couturière pour les besoins du centre.
Mardi 17 novembre 1942<
Le temps est bas. Première neige : elle ne tient pas mais les hauteurs restent toute blanches.
Mercredi 18 et jeudi 19 novembre 1942.
Gel le matin mais belle journée avec soleil et beautemps le soir. La comptabilité se met à jour avec Charmes. Je signe le cahier d’ordinaire. Au camp, installation complémentaire : la cuisine est prête à fonctionner dans son nouveau local. Installation, donc, de l’équipe de Saint-Pierre dans la petite baraque pendant la réfection des plafonds.
Six tonnes de pommes de terre sont trouvées ! Malheureusement plus de légumes. Nous résilions le marché de la viande confiée au boucher de Saint-Pierre car ça ne marche pas. La paille que nous avions retenue est réquisitionnée par les Italiens !
Accueil de nombreux volontaires de la relève venantde Grenoble, avant répartition dans les centres
.Le moral semble se relever. Foucart part avec 10 volontaires de son équipe pour une excursion à Brizon. Le chef Calmon revientde Grenoble : rien de neuf.
Vendredi 20 novembre 1942.
A l’arrivée, je suis assailli par toutes sortes de quémandeurs : Fonteilles est là, son chef de patrouille est muté, il veut le garder.Foucart revient de Brizon : là-haut, ils manquent d’éléments pour la finition des bas flancs ; un mulet montera dans l’après midi. Mutation aussi de jeunes pour l’équipe de compétition dont deux de chez nous sur trois au total pour tout le groupement. Aller à Entremont et descente de bois. Journée chargée. Les volontaires peuvent s’installer au nouveau réfectoire.Samedi 21 novembre 1942.
Matinée chargée. Au centre, on sent un relâchement très net. Il faudra réagir. Des Italiens passent en colonne, via Bonneville. Uncamion est parti chercher des pommes de terre, un autre redescend du bois d’Entremont. Après-midi consacrée au nettoyage. On ne fera pas de sport (football), demain dimanche.
Lundi 23 novembre 1942.
Travail normal. On change les boutons noirs de l’uniforme contre des dorés et on reçoit les insignes du centre et groupement à coudre. Retour de Foucart le soir. On commence à couper le bois.
Mardi 24 novembre 1942.
Très froid, vent violent mais beau temps. Le chef Robert Thollon, commandant le Centre Ecole JM, arrive, chargé de passer la revue des jeunes, venant d’arriver et prêts à rejoindre leurs équipes respectives dansles autres centres : il manque des insignes et des boutons dorés. L’après midi, jevais à Annemasse pour l’achat de volumes pour la bibliothèque. Je n’en déniche qu’une trentaine.
Mercredi 25 novembre 1942.
Fonteilles revient de Pralognan où il comptait trouver de la laine mais rien ! Les volontaires nouvellement affectés emménagent dans le pavillon 1.
Heureusement l’inventaire est terminé : déficit et excédent. La plupart des erreurs viennent du groupement. Froid intense, mais les jeunes sont correctement installés .
Le chef Calmon nous réunit tous, dont les chefs de centre Ménétrier de Thorens, Riss des Contamines et même Thollon du centre Ecole, pour un grand repas en commun, tous les cadres présents à Saint-Pierre rassemblés.
nbsp; Après-midi, réunion des chefs présents au repas pour une conférence de Calmon, sur certains faits récents conditionnant la situation politique de 1940-41 et encore actuellement sur les clivages en découlant.
« Il fut beaucoup question du général Weygand ! Ses origines : fils naturel d’un grand de Belgique. Petits yeux bridés. Sa participation aux évènements de 1940 ; sa vitalité, sa jeunesse malgré ses 73 ans !Télégramme de Reynaud pour le rappeler de Syrie, après Dunkerque et remplacer les commandants en chef des armées, les généraux vaincus, Gamelin et Georges. Voyage en Glenn Martin d’un groupe de bombardement déployé en Syrie, Beyrouth-Marsha-Matrouh-Tunis- Etampes, (atterrissage sur le ventre). Entrevue avec Reynaud auquel il dit : « Je prends le commandement de la déroute ! » Inspection des fronts, Atterrissage sur terrain bombardé ! Dunkerque, Cherbourg, Paris !
Pas de miracle, c’est la défaite et l’effondrement des armées françaises. Même vaincus pas de redressement à venir sans galvaniser les énergies humaines, plaide Weygand ! Modestie dans la composition de ladéfense nationale qu’il propose dans le nouveau gouvernement à Bordeaux : 7 membres autour de Laval, Darlan et lui, Weygand ! Entrevue avec le maréchal Pétain ! Puis il part pour l’AFN pour coordonner l’action des trois gouverneurs ! Popularité de Weygand en AFN et... aux Etats-Unis ! De ce fait, pour éviter une sécession éventuelle de l’AFN, Darlan le fait rappeler en France. »
Effectivement, cela me rappela mon séjour en AFN en été 1940 et la confiance faite outre Méditerranée à Weygand pour y continuer la lutte, la France métropolitaine étant occupée. Et même si Weygand disparut assez vite de la scène, les Américains et alliés ne choisirent-ils pas l’AFN pour reprendre pied dans un pays à l’attitude reconnue pour favorable ?
Vendredi 27 novembre 1942.
Nedelec à Brison signale un jeune atteint, lui semble-t-il, de typhoïde. Nous montons avec le docteur pour effectuer des prises de sang. Temps très froid !
Au centre, la salle de l’équipe n°2 se prépare : on en est au crépissage du plafond enfin terminé. De mon côté j’attends le mandat nécessaire pour payer les émoluments.
Week-end des 28 et 29 novembre 1942.
Le mandat n’est toujours pas arrivé.
Prévision pour dimanche d’une montée à Brison pour l’équipe n° 2 et d’un match de foot contre Marnaz, à Marnaz (non loin de Cluses). Mise en place de la scie circulaire et débitage du bois. Préparation de la comptabilité de fin de mois. Le dimanche, résultat désastreux : Marnaz bat JM par 6 à 0.
Lundi 30 novembre 1942.
Activité fébrile de fin de mois. Fonteilles descend nous voir : récapitulation de factures, prévisions, tout y passe. Il est, pour cela, très méthodique et j’aime bien !
Peu d’activités en cet hiver, le train-train journalier, aucun fait original, le climat général de durcissement de la situation après novembre 1942, le débarquement allié au Maroc, la fin de l’état de zone libre, l’envahissement conséquent des services de police allemands et l’institution, dans cette zone désormais occupée, du Service du Travail Obligatoire en Allemagne, le redoutable STO. Les Allemands ont donc remplacé en Haute-Savoie, les débonnaires Italiens qui contrôlaient les zones frontières, sans mandat particulier.
De toutes façons, c’est l’hiver et il y a peu d’initiatives !
Le 22 janvier, je monte à Brizon à ski et revient le soir. Rude marche de près de quinze kilomètres et 800 mètres de dénivelé. Le chalet brûlera quelques temps plus tard !
Le 22 février, visite à La Roche-sur-Foron, sur le petit col au-delà duquel passent les grandes voies de communication d’Aix-les-Bains à Genève. La petite ville se prélasse sur ce petit col, dominant la vallée de Bonneville en haut de côte de la route menant à Annecy et nous reliant à ces grandes voies : la vue est superbe et si étendue, en contrebas sur le vert de la vallée serpentine mais si large, jusque vers le lac Léman, invisible au nord mais tout proche et en vis-à-vis des chaînes et sommets déjà blancs de leur parure hivernale. Et il faisait beau !
Les 25, 26 et 27, je passe trois jours aux Contamines pour les championnats de ski du mouvement !
Le 11 mars, nous faisons une petite virée à Annecy à deux, en deux jours. Merveilleuse ville toute vieille et ramassée sur elle-même, avec ses rues étroites et tortueuses mais cette magnifique ouverture sur l’immense étendue des horizons de l’étroit et tortueux lac bleu et des montagnes montant drues et boisées de vert sombre, balafrées de neige, tout au long de son pourtour !
Déjà le printemps pointe son nez après les frimas, la neige et les « ciels » bas et gris de la région. Peu de vent dans cette vallée encaissée et protégée ! L’inverse de chez nous ! Agréable et nouveau !
Ce 9 mai, à Annecy, le centre est en déplacement pour la fête de Jeanne d’Arc et le défilé organisé en ville.
Nous sommes en rang par trois et on reconnaît les camarades, chefs Berthémy, un de mes chefs d’équipe et Plouchard, affecté au Groupement.
Nous avions l’uniforme des grands jours, en drap fin bleu nuit, chaussettes de laine blanche montantes comme les troupes alpines. Le grand béret penche largement sur la gauche de la tête et une belle fourragère blanche fait pendant au blanc des chaussettes.
En l’honneur de Jeanne d’Arc, ce défilé ? La statue en trônait d’ailleurs sur la place où nous avons défilé, la tribune officielle ayant été montée en vis-à-vis, le défilé entre les deux ! Nous étions la seule entité en uniforme et défilant militairement, ce que nous n’avions jamais pratiqué jusque là. Les photos montrent un sol mouillé de pluie de printemps !
Je me rappelle mon doute sur le mouvement de tête à commander par moi, le chef en avant de la troupe.
Question cruciale à traiter dans les derniers mètres avant mon
commandement ! Finalement j’optai pour « Tête gauche ! » donc en hommage à la
statue de Jeanne, ignorant les autorités sur notre droite (préfet sûrement, d’autres ?).
Il n’y eut aucune suite à ce mouvement de tête. Comme nous n’étions pas très favorables à la politique de collaboration, en définitive, mon « Tête gauche ! » correspondait à une méfiance envers les représentants du Vichy gouvernemental. Je me souviens très bien de ce sentiment qui m’a poussé à saluer Jeanne d’Arc, plutôt que le préfet.
Une « invitation ».
Pour une soirée à Saint-Pierre de Rumilly à la salle paroissiale, le 31 mai 1943. Je me rappelle très bien cette initiative de Poncet qui avait tout monté, sans trop me solliciter. Il y avait une pièce avec acteurs costumés et un beau spectacle, très suivi par la population locale. Ce fut un grand succès.
Les beaux jours arrivent.
Le 25 juin, nous allons ensemble avec Philippe Wertheimer, à Saint-Nicolas de Véroce, non loin des Contamines et du centre de Riss, rencontrer Maurice Travers, ancien chef à JM et un de ses proches camarades ! Juste un petit voyage hors Bonneville. Nous avons dû bien manger et autant parler !
Le 10 juillet, je suis invité à Thorens, pour une visite du centre de Ménétrier, mais je n’ai aucun souvenir.
Ce sera donc une période sans autre objectif, tant pour chacun de nous que pour l’activité de JM, que de laisser passer le temps en encadrant les jeunes.
Mais les ordres de route pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne de beaucoup de jeunes se font plus nombreux et déstabilisent les conditions de vie et les rapports avec les chefs. Certains désertent après avoir demandé conseil à leur chef, et même directement au chef de centre que je suis. Nous ne pouvons qu’être neutres, comme évoqué plus haut. Et cela n’était pas bon pour le moral des chefs ni celui des volontaires.
Rien ne viendra rompre la monotonie de la vie dans ces conditions. Tout tourne ou ronronne dans cette guerre sans fin. Et la vie se dégrade dans l’environnement immédiat.
Dimanche 3 octobre 1943. Sur le plan local, des drames :
Le capitaine de gendarmerie d’Annecy, en poste à Thorens a été tué par les proches des gars des Glières. Toujours les suites de l’opération menée par Vichy, contre ce maquis du 27ème BCA d’Annecy. Tous les jours de la semaine dernière ont été marqués par des évènements de ce genre. L’entrepôt de tabac de Bonneville a été pillé.
Je raconte la visite du grand chef de Roussy de Sales à Saint-Pierre, entouré de hauts fonctionnaires de Vichy. J’en rends compte dans une lettre :
« M. Frantz, commissaire au pouvoir et des séides de Vichy. Ils n’ont parlé que des événements de la semaine dernière, étonnés de ce qui s’était passé ici. Ils se font des idées à ce propos, comme : « Mais comment le maquis peut-il savoir ceci ou cela ? » croyant les réfractaires isolés et sans relation avec le monde environnant. Enfin passons ! Ils ont été très favorablement impressionnés par le camp et la manière dont tout marchait.
Nous apprenons aussi que les centres de JM seront déplacés bientôt hors des
Alpes, trop inquiétant refuge dans l’esprit des Allemands et nous nous y préparons ! »
Nous apprendrons vite que la destination du centre sera Périgueux, affectation
à une usine d’Aéronautique très importante la SNCASO (Société de Constructions
Aéronautiques du Sud-Ouest), basée à Bordeaux.
On explique que le risque de voir les chefs (anciens de l’Armée de l’Air active
comme volontaires ayant acquis le titre de chefs d’équipes au centre Ecole de
Montroc) désignés pour l’Allemagne au titre du STO est grand.
Par contre, si JM passait sous contrôle du Ministère de la Production
Industrielle, ll serait possible d’être mis au service des Allemands, comme les gens
du STO, mais en restant en métropole. On sauvegardait ainsi des cadres pour des
plans de reprise des armes le moment venu !
C’est la solution retenue par nos généraux « patriotes » au sein du gouvernement à Vichy. Ce sera la fin de JM, mais que faire ?
Les chefs à Grenoble tentent de maintenir tout ce qui peut l’être, ainsi de ces championnats !
Dans mes lettres des 10 et 12 octobre,> je raconte le départ de Bonneville, le jeudi, le repas à Aix-les-Bains,> entre deux trains et l’arrivée à Grenoble à 22 h, et ma nuit à l’hôtel Suisse et Bordeaux.
Les championnats d’athlétisme commencent le lendemain, vendredi 8, par des éliminatoires auxquelles je ne participe pas, mais où je vais soutenir nos équipes : parcours Hébert et éliminatoires des courses et deslancers. Fastidieux et longuet ! Dernier au parcours Hébert, le groupement se redressera l’après midi, passant bien le cap des éliminatoires !
Je vais prendre le repas de midi à Cornélie Gémond,au P.C. L’après-midi, ouverture officielle des Jeux avec lever des couleurs et présence de Roussy. Je remporte l’épreuve de saut en longueur avec trois sauts successifs, de 5 m 55, 5 m 70 et 5 m 80, mais en hauteur je ne peux franchir plus de 1 m 55 et je ne suis pas classé. Consolation, le premier n’est pas allé au-delà de 1 m 65.
Pour ce saut en longueur, je me vois attribuer une belle médaille en bronze, que Roussy me remet personnellement, me félicitant d’avoir donné l’exemple (effectivement, j’étais le plus haut gradé parmi les concurrents et premier d’un concours et récompensé, par-dessus le marché).
Le groupement se classe second derrière mon ancien centre du Commissariat de Grenoble où l’on avait gardé les meilleurs éléments parmi les jeunes les plus athlétiques des arrivants.
Le mardi, 12 octobre, travail « normal » et le soir, rencontré Riss et le docteur Karcher, nous soupons au « Sapeur », très bien ! De même, trois jours plus tard, avec Poncet et Scordel (9). ; je parle de Calmon qui est revenu passer les consignes et en attente de déménagement, seul chez lui, comme le docteur Karcher qui fait aussi ses bagages et s’en va bientôt.
Je raconte d’autre part que, comme il n’y a plus de train de marchandises, il faut fractionner les déménagements personnels qui ne tarderont pas, en lots de paquets pesant au maximum 20 kg qui sont acceptés en accompagnement dans le wagon de marchandises de queue des trains de voyageurs.
Le 19 octobre 1943, je suis invité par Chalon, qui a terminé l’installation de son chalet à Entremont–le-Vieux et pend la crémaillère, hélas à peine quelques jours après l’annonce du départ pour Périgueux. Il a fait confectionner de très jolis « menus ». Le repas était pantagruélique et délicieux. Repas d’adieu !
Il y a eu quelques attentats : contre les Italiens ou des « collaborateurs », dont un mort, un blessé, à La Roche-sur-Foron, quelques types en fuite.
Un certain Lapierre est arrivé de Chamonix et dit qu’il n’y a plus personne de JM, là-haut et que c’est bien triste, qu’il me manque un chef d’équipe, mais que j’ai pu le remplacer. Que, le soir, j’irai prendre mon repas avec Poncet au restaurant « Les touristes » et que j’ai vu Mlle Guyotat (10). pour la voiture en la chargeant de relancer Mme Michel à Grenoble !
(9) Un ancien sous-officier, âgé (45 ans ?) chef de la comptabilité et Finances du Groupement. En ménage,
charmants tous deux avec lesquels nous aurons les meilleures relations. Il suivra à Gourdon lors de notre
transfert prochain.
(10) Mlle Guyotat épousera Georges Plouchard, à l’époque en service au Groupement ; elle décédera
malheureusement assez tôt et Georges se remariera pour perdre sa seconde épouse en 2009...
Les Allemands sont maintenant là et ont mission de tout contrôler, la Gestapo et la Milice arrêtant les ravitailleurs des maquis mais aussi des patriotes ou communistes connus.
Les gens des maquis ne se gênent pas non plus : ils ont enlevé 2000 cartes d’alimentation dans un village et, tout près de chez nous, pour un million de Francs de cigarettes dans l’entrepôt central du tabac.
Le groupe d’Entremont de Wertheimer a été pillé par un maquis qui n’était pas celui des Glières (11) et ils ne leur ont laissé que leurs treillis. Poncet et moi, nous sommes monté là-haut et avons ramené tout le monde en Centre-bas. On pense que l’on va abandonner notre site dans cette vallée, avec ce nouvel hiver venant et le départ en filigrane.
Mon centre l’a emporté de haute lutte sur un parcours d’hébertisme avec un
cross sur cinq minutes environ et une vingtaine de difficultés et d’obstacles.
Moi-même me suis classé onzième sur soixante. Ce n’est pas mal !
Le chef Calmon, le patron du Groupement annonce son départ prochain. C’est Poncet qui doit le remplacer.
S’en suit une série de visites d’adieu, aux différents chalets.
Une petite délégation l’accompagne à chaque fois.
(11) Wertheimer qui commandait cette équipe avait des relations avec le maquis des Glières, juste au- dessus d’eux. Il est monté plusieurs fois là-haut, avec provisions. Un jour, il a constaté que l’endroit de refuge du maquis de Tom Morel avait été abandonné. Il est venu me le dire. Cela s’est su en haut lieu régional et il a été convoqué par le préfet à Annecy bien au courant des lieux de stationnement du maquis. Le préfet a fait bien dire à Wertheimer la vacuité de cet ancien refuge du maquis et Wertheimer témoigne que le préfet faisant venir le colonel de gendarmerie de Haute Savoie, lui dit : « Vous voyez, ce témoignage est sérieux, vous pouvez annuler l’opération prévue sur cet axe ! » On sait que les premières attaques contre les Glières furent menées par les forces de police et gendarmerie françaises.