(...) Aux officiers de l'Armée de l'Air qui arrivaient à Chambéry les premiers, allaient incomber cette tâche ardue. Je voudrais tous les nommer mais je craindrais d'en oublier. Je les vois apparaissant dans notre café. Ils étaient jeunes. << Comment vous appelez-vous ? - Un tel - Quel est votre grade ? - Lieutenant X... Capitaine Y... - Qu'avez-vous fait ? - Pilote de chasse, pilote de bombardier, officier mécanicien, etc. - Vous, partez pour Aulnat, vous devrez ramener pour après-demain x véhicules, tant de tenues, de pelles, de pioches... Vous, partez sur Salon... Vous, allez au Col de Porte... Vous, dans le Beaufortain... Vous, au Col du Granier... Vous, préparez le règlement de J.M. Mais avant votre départ nous allons décider ce que seront notre devise, notre salut, dès le premier jour il faut que nous ayons notre marque, nos rites. >> Et c'est ainsi au cours des heures que peu à peu prenait vie ce qui serait J.M. Jamais une réticence, jamais une mission donnée ne fut remplie à moitié. L'intelligente initiative de chacun, le travail forcené de tous permit d'être prêt. Quatorze jours plus tard les premiers contingents arrivaient en gare d'Aix-les-Bains. Entre temps, nous avions abandonné notre café, il n'y avait plus de places pour les clients et nous devenions par trop voyants. Les roulements à billes Riv nous offraient l'hospitalité. Nous étions au large dans cette usine. Les requis civils, la classe 40, arrivaient par groupes de 200 à 300 hommes. De la gare ils étaient conduits au Casino qui servait de Centre de regroupement. Dans la soirée je rassemblais la fraction arrivée, leur expliquais ce qu'allait être leur vie, ce que l'on attendait d'eux. Je me rappelle ces contingents aux cheveux longs, l'œil méfiant, les mains dans les poches, écoutant sans conviction. Quelques années plus tard, je commandais en second le 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes. Nous étions en Sicile et préparions l'opération de l'Ile d'Elbe. Pour ce faire une cinquantaine de Dakotas étaient en ligne, les sticks rassemblés. En passant l'inspection l'un des parachutistes me regarde avec insistance. Je m'arrête, lui demande où nous nous sommes connus autrefois. << A J.M., me dit-il. C'était au poil. Vous vous souvenez, vous nous avez rassemblés. Vous nous avez dit : c'est demain matin lorsque vous débarquerez de vos camions vous recevrez des outils, vous vous mettrez immédiatement au travail. C'est votre demeure que vous aménagerez. On s'était dit : un de plus qui nous raconte des craques. Mais c 'est comme ça que ça s'est passé. Alors on s'est dit, c'est du sérieux. >> (...) Jacques FAURE |