Molines en Champsaur 1943



Louis Arnaud est du dernier contingent des appelés au Service National Obligatoire. Volontaire pour Jeunesse et Montagne, il doit rejoindre le Groupement Dauphiné, Centre d’Ancelle en Champsaur au-dessus de Gap. Il est affecté à Molines, en amont de la Motte en Champsaur à 1230 m d’altitude, hameau perdu en fond de vallée au confluent des torrents du Peyron et de la Muande. Louis Arnaud révèle qu’il n’y a qu‘un seul résident permanent en 1943.

L’équipe de Molines est l’équipe disciplinaire de Jeunesse et Montagne. On y a affecté trois des meilleurs parmi les chefs d’équipe du mouvement. La manière dont ils conduisent ces hommes difficiles et le remarquable raid qu’ils réalisent, en été 1943 font l’originalité de ces lignes.

A remarquer aussi, le passage à l’état de guerre, à la dissolution de JM en fin janvier 1944. Arnaud, clandestin de longs mois, s’engage le 22 août 1944, à la libération de Marseille, dans l’Armée de Lattre. De Marseille, il finira la guerre au pied des Alpes en Autriche, au sein de la 1ère Division Blindée, affecté comme second pilote de char au 1er Régiment de Chasseurs d’Afrique. Son escadron enlèvera, de haute lutte, le verrou allemand de la ville de Delle à la frontière Suisse.

Ce parcours est l’illustration même du cas de nombreux autres de ces mêmes contingents JM de fin de guerre, volontaires pour s’engager alors que la libération de la métropole est déjà acquise. Influence certaine de l’environnement psychologique qu’a exercé JM sur ces jeunes.

Louis Arnaud est président, délégué pour la Provence Côte d’Azur, de l’Amicale des Anciens de la de la 1ère Division Blindée.

René Méjean



Volontaire pour Jeunesse et Montagne

Après une année de faculté de chimie à Lyon et l'arrivée des allemands en Z.L. en novembre 1942, mon entourage juge préférable de quitter Lyon en juin 1943 (Jean Moulin) et j'obtiens des lettres de recommandation pour me présenter à Jeunesse et Montagne à Gap, où je suis reçu en 1943. Deux solutions se présentent alors :
- ou je reste au château (bureau de recrutement de Gap),
- ou je suis affecté à Molines en Champsaur et j'aurais rapidement des galons car chalet disciplinaire.
J'opte pour Molines où j'arrive courant juin 1943, un dimanche à 14 heures : mes nouveaux camarades, tous tondus, m'accueillent en me disant :
« Enfin ! Le chef t'attend ».


Horreur ! Car cette grosse farce me force à aller chercher en altitude (à la limite des forêts de sapins) « la clef du four à carbonisation ». Au repas du soir, je me présente à 19 h au véritable chef Ravoire.


Dès le lendemain matin 7 heures, entraînés par nos chefs Ravoire, Bouteret et Buchet, séance de décrassage en partie dans un torrent, la Severainette. 8 heures, petit-déjeuner et couleurs. 9 heures, montée vers les fours de carbonisation : coupe de bois, mise en place dans les fours, mise en route des fours, sortie du charbon des fours en rotation. Descente des seaux de charbon de bois au chalet.

14 heures : repas.


Après-midi. Activités diverses : initiation au rappel, initiation varappe, jardin de légumes à maintenir en état, nettoyage autour du chalet, nettoyage du chalet et des cuisines, amélioration de la petite centrale électrique, entretien de la conduite forcée, création d'une piscine, installation d'une ligne téléphonique jusqu'à la poste, corvée de patates et nettoyage de la jument et de son hangar, réparation continuelle de la ligne téléphonique, vaguemestre avec un bouteillon de 20 litres dans le dos pour remonter du lait.

Le soir, avant le repas : « descente des couleurs ».


Trois cadres : chefs Ravoire - Bouteret - Buchet président à cette importante somme des activités journalières. Cette équipe de chefs encadre les fortes têtes, douze volontaires Jeunesse et Montagne envoyés à cette équipe disciplinaire. Et je confirme qu'il n'y avait aucune bavure, aucune défection, aucun laisser-aller, bien au contraire, un certain esprit d'assimilation indiscutable.
Quelques jours après mon arrivée au chalet, le chef Ravoire me convoque pour le lendemain. 5 heures du matin et le baptême des 3000 m (Vieux Chaillol), se promettant probablement de me faire plier le genou : tenue de sport, chandail, chaussettes de laine et brodequins 40 que j'avais apportés avec un supplément de crampons à « ailes de mouche » autour de la semelle. Un piolet m'est affecté.
Départ de Molines à l'heure prévue : remonter le long de la Muaude par le chemin du Roy. Passage à 6 heures devant le hameau inhabité du Roy.
L'ascension est dure : le sentier est très pentu et bientôt les éboulis. Je suis bien chaussé, ma marche, derrière le chef Ravoire que je considère comme un parfait montagnard, n'est pas ralentie. Puis les rochers nécessitant le piolet afin de mieux s'assurer. Le chef organise deux pauses durant cette montée rapide, mais pas un seul mot. Arrivée au sommet à 3163 m à 9 heures/9 heures 30. Je reçois dans la figure un quart d'eau comme baptême.
Nous admirons le panorama.


Au bout de cinq minutes, départ et descente super rapide dans les éboulis. Magnifiquement chaussé, aidé de mon piolet, je dévale dans les caillasses sur une ligne parallèle à la trace du chef Ravoire pour arriver à l'orée de la forêt (1800-2000 m), avec, je crois, quelques secondes d’avance sur lui. Nous coupons dans les lacets que nous avions faits quelques heures auparavant et très rapidement nous arrivons au hameau du Roy (10 heures/10 heures 30). Puis, retour rapide vers Molines par le chemin du Roy, où nous étions au chalet pour le repas de midi.
En chemin, le chef Ravoire me félicite de cette marche et de ce baptême, après avoir fait allusion à ma première épreuve, à mon arrivée : « Retrouver la clef du four ».
Quelques décades après, nous sommes conviés à un rassemblement nous informant du départ, fixé au 10/12 août, pour un grand raid, dont l'ensemble des chefs pensaient que l'équipe était capable de faire même si le projet mis au point constituait un véritable exploit en la matière.
II nous est affecté un sac à dos, avec gamelle, bidons, couverture, anorak et ravitaillement pour les deux premiers jours du raid. Chacun des trois chefs aurait à charge une équipe-cordée de quatre d’entre nous douze et porterait les cordes de rappel. Je suis affecté à la première cordée avec le chef Ravoire et nommé reporter, c'est à dire que, chaque soir, je devrai faire le compte rendu de la journée.
Resteront au chalet Tabel et Faure, notre muletier et sa mule.


Un raid de haute montagne en août 1943

Premier jour : Molines (1500 m - 2200 m = 700 m)
Départ du chalet. Nous passons devant les fours de carbonisation. Montée rapide vers le col de Font Froide. Passage du col à 2200 m. Nous dominons la vallée de la Navette, vallée souriante et très ouverte pour arriver à La Chapelle en Valgaudemar.


La Chapelle en Valgaudemar (2200 m - 1000 m = 1200 m)
Petit village : des réfugiés logés chez l'habitant. Nous couchons dans deux granges avec une bonne paille. Le ravitaillement avait été assuré par je ne sais qui. Mais journée agréable pour tous.


Deuxième jour : La Chapelle en Valgaudemar
Départ de l'ensemble dès 7 heures (1000 m - 2683 m = 1683 m) Passage devant le chalet CAF et prenons la direction du Pas d'Olan (2683 m). Première difficulté. Première épreuve : il faut franchir une cheminée. Entraînés à la varappe, nous n'avons aucun problème. Ensuite, descente rapide dans des éboulis: épreuve pénible pour de nombreux camarades car mal chaussés. Puis marche assez longue vers Saint-Christophe en Oisans. (2683 m - 1500 m = 1183 m). Arrivée vers 17 heures. Ravitaillement assure sur place par ?


Saint Christophe en Oisans Repos pour la journée : toilette dans le torrent.
Pour la première cordée, montée au Pierroux. (1500 m - 2850m – 1500 m = 2700 m), « entraînement obligatoire avant les grandes journées », nous disent nos chefs. Coucher très confortable dans des granges le long du torrent.>
Nous allons commencer le lendemain notre 4ème jour de montagne.


La Bérarde (1500 m-1738 m= 238 m)
Dès 6 heures du matin, départ des trois cordées vers la Bérarde où nous arrivons à 8 heures. La première cordée (Ravoire) et la 2ème cordée (Bouteret) laissent sur place la grande partie du sac à dos pour être plus léger pour l'ascension vers les Ecrins (1 paire de chaussettes + anorak + couverture + gourde avec eau). La troisième cordée avec Buchet reste et nous attendra à la Bérarde.


Temple Ecrins (1738 m - 3446 m = 1708 m)
Départ aussitôt après préparatifs vers 9 heures pour le Refuge du Temple Ecrins. Vieux refuge avec cheminée et bois, aucun ravitaillement, aucun alpiniste. Chalet réaménagé par Jeunesse et Montagne en 1941/1942, altitude : 3446 m. Très bonne nuit au chalet après avoir soupé « hors sacs ».


Barre des Ecrins (3446 m - 4102 m = 656 m)
Dès 6 heures, le lendemain, départ pour la Barre des Ecrins (4102 m). Ascension lente, mais très assurée pour les deux cordées très surveillées par les chefs de cordée Ravoire et Bouteret. Mes chaussures font merveille sur la glace et la neige glacée. Mes camarades n'ont pas ces queues d'hirondelles que je leurs promets dès notre retour à Molines.
Les cordées s'arrêtent toutes les 20 minutes. Nous mettons 60 minutes pour arriver au sommet : admiratif de nos capacités. On rit de ce succès, mais pas d'appareil photos pour le fixer. II est 7h30. Ravoire et Bouteret très heureux après 15 minutes de pause.
Retour très attentif aux ordres de prudence et descente vers le refuge de Temple Ecrins et descente ensuite plus rapide mais très assurée dans les éboulis et forêt vers la Bérarde (4102 m - 1738 m = 2384 m), où nous arrivons dans l'après-midi. Nous retrouvons la 3ème cordée qui nous pose beaucoup de questions. Nous racontons. Puis contre ordre : il faut coucher à Saint-Christophe en Oisans. Nous y arrivons à la nuit.


Saint Christophe en Oisans (1738 m - 1500 m = 238 m)
Repos toute la journée. Remise en ordre des sacs. Préparation de la prochaine journée pour monter au Rateau dans le massif de la Meije, la 1ère et la 3e cordée sont désignées, la 2e cordée rejoindra La Grave.


Sommet du Rateau (1500m - 3809m = 2309 m)
Départ à 5 heures par le Torrent du Diable, cheminement assez long pour nous diriger vers le sommet du Rateau (3809 m). Nous ne sommes encordés que sur les 500 derniers mètres de dénivelé. RAS et surtout pressés car de mauvais nuages sont sur nos têtes.
Du sommet, toute la vue est dans la brume. Donc, redescente accélérée mais prudente sur la première partie du glacier, ensuite éboulis.


La Grave (3809 m - 1526 m = 2283 m)
Nous rejoignons l’autre équipe à La Grave, fatigués car la descente est rapide. Bon accueil dans un chalet CAF, repas et coucher.
Dès 7 heures, le lendemain, de La Grave pour le refuge du CAF de « la Meije », départ, des 1ère et 2e cordées, la 3e allant, par la route, à Monetier-les-Bains pour garder nos provisions et nous attendre.


CAF du Promontoire de la Meije (1526 m – 3092 m = 1566 m)
La lère et la 2ème cordée sont toujours solides, mais la plupart des gars souffrent des pieds dans cette montée vers l’objectif le chalet CAF du Promontoire de la Meije. Pas très longue marche qui nous permet d'arriver au refuge vers 12 heures. Repas organisé. Bonne cheminée avec du feu. Bon soleil, vue splendide vers le massif de la Meije. Beaucoup de dénivelé mais sentier très couru et facile. Aucun autre touriste. Les Arêtes du Promontoire sur lesquelles est bâti le refuge sont la voie d’accès au Grand Pic de la Meije (3983 m) juste au dessus !
Un peu déçus du panorama à partir du Promontoire à 3092 m, on voyait tellement de montagnes enneigées depuis quelques jours, mais enfin heureux d'un tel raid. Préparatifs dans la soirée pour la journée de demain qui sera dure. Donc longue sieste de 13 heures à 16 heures. Coucher à 20 heures. Nous continuerons en direction du Col du Clos des Cavales.


Col du Clos des Cavales (3092 m – 3364 m = 272 m)
Bivouac à 12 heures dans les éboulis : passage peu rassurant. Après 1 à 2 heures de repos, nous voilà repartis vers le Col du Clos des Cavales à 3364 m. Un véritable col de très haute montagne d'où nous avions une très belle vue sur le massif de la Meije, sur la vallée de la Guisane, sur la barre des ÉCRINS.
Sans attendre, nous voilà repartis de 3364 m, par le glacier pour aller coucher au refuge de l'Alpe de Villar d'Arène (CAF) à 2096 m. (3364 m – 2096 m = 1268 m).
Nous sommes arrivés exténués après avoir fait, dans la journée d’hier et aujourd’hui, tant de dénivelé mais surtout, une marche de 12 heures, au total. Région beaucoup plus hospitalière que dans la haute montagne. Souper très léger mais sommeil profond.


Refuge de l'Alpe de Villar d'Arène vers Briançon (2096 m - 1320 m = 773 m)
Départ pénible car plus rien dans les sacs. A Monetier-les-Bains, nous retrouvons notre 3e cordée. Repas frugal mais bien préparé avec un ravitaillement organisé depuis Briançon. Nous passons au Bess, lieu-dit à la Salle-les-Alpes, où Jeunesse et Montagne avait un hôtel réquisitionné (par qui ?) pour les skieurs de haut niveau.
Enfin, arrivée à Briançon (1320 m). Très mal couchés dans une caserne, nous qui étions habitués à la paille, nous avons trouvé les châlits trop durs.


Briançon
Bon repas pour une nuit et une journée de repos à Briançon. Beaucoup de monde dans ce gros bourg. Mais en prévision de ce qu'il nous restait à faire, nous sommes rentrés très tôt à la caserne, d'autant que nous profitons des installations sanitaires pour nous remettre d'aplomb.
Départ après une journée de repos pour Abriès et Aiguilles.


Briançon - Aiguilles (1320 m - 1200 m = 120 m)
Très longue marche sans intérêt par Lachan, Prafauchier, les Fonds, Abriès.
A Abriès, notre étonnement fut grand de côtoyer des chasseurs alpins italiens en garnison et qui nous ont réservé un accueil chaleureux au Café de la Place. Mais notre point de chute était Aiguilles où nous sommes arrivés à 18 heures pour prendre notre « cantonnement » dans une bonne grange avec beaucoup de paille. Repas assuré à Aiguilles. Bonne soirée.


Aiguilles - Saint Véran (1200 m - 2400 m = 1200 m)
Départ à 8 heures pour Saint-Véran, « le village le plus haut d'Europe » en descendant le Guil et en passant par Molines en Queyras.
Saint-Véran est un ensemble de vieilles maisons avec un soubassement en pierre et le dessus charpente et grenier à foin, toujours desservies par une route indépendante en terminus. Très peu d'habitants, très hospitaliers puisque, par groupe, nous avons été invités au repas, chez les uns ou les autres. Rassemblement à 21 heures dans une grange pleine de paille.


Guillestre (1200 m - 1000 m = 200 m)
Le lendemain, 30 kilomètres de marche le long du Guil, jusqu'à Guillestre à 1000 m !!! Mais une belle promenade. Coucher à Guillestre.


Barcelonnette (1000 m - 1639 m = 639 m)
Départ le lendemain pour Barcelonnette : très longue marche par le col de Vars (1639 m), Saint-Paul (1470 m), Jausiers, pour arriver exténués à Barcelonnette.
Nous étions tellement fatigués par la longue marche sur route goudronnée et par la chaleur que nous nous sommes tous couchés, y compris les 3 chefs, sur nos sacs devant le monument des frères Arnaud.


Barcelonnette - Molines (1639 m - 1132 m = 507 m)
Le lendemain, le chef Ravoire, qui avait pris contact avec quelques anciens militaires à Barcelonnette, nous a fait faire le trajet Barcelonnette-Molines en camion. Nous étions tellement fatigués, surtout que la plupart avaient des chaussures en très mauvais état.
Ainsi, en haute montagne, sur 19 jours et en réalisant un dénivelé total de 23 828 mètres, ce fut le plus grand raid de l’histoire de Jeunesse et Montagne.
S'il fut oublié, c'est que ces mois qui ont suivi août 1943, ont été très difficiles pour Jeunesse et Montagne. En novembre 1942, déjà, on avait assisté au remplacement des débonnaires commissions italiennes en Zone Frontalière Libre, par l’occupant allemand.
II ne fallait donc pas se faire remarquer !!


Le temps d’activité

Personnellement, je suis resté à Molines, n'ayant pas terminé ma période d'engagement. Après ce raid, j'ai été nomme chef d'équipe, un titre sans affectation. Finies les brimades et les sanctions disciplinaires qui étaient le quotidien avant le raid. Avec le recul, je pense que la discipline imposée par le chef Ravoire à ces 12 garçons qui paraissaient au départ difficiles à gérer, avait été efficace.

Nous avons repris nos activités, certains étant même détachés chez des paysans pour rentrer les récoltes. Le dimanche, nous avions la visite des jeunes filles de la Motte, des Infoumas, des Costes, de Chauffayer, de Pisanlon, accompagnées de leurs mères, car nous avions organisé, avec le plein accord du chef Ravoire, bal et divertissement au son de la viole de monsieur Escale, notre voisin et seul habitant de Molines.
Tous les dimanches du mois de septembre, ce fut la grande fête ce qui ne plut pas à tous, comme nous l'apprendrons 50 ans plus tard.

En octobre-novembre, ce fut le départ de tous les gars du chalet, leur temps de service étant terminé. Je suis donc resté seul avec Ravoire, Bouteret, Buchet, Tabel, jusqu'à mon départ en mars 1941. Mais pendant cette période, la vie au chalet a été beaucoup plus « cool ». Seule exigence de Ravoire : « les couleurs » matin et soir.
Ayant eu la charge de vaguemestre dés le mois de septembre, j'ai lié connaissance avec nombre de garçons et filles de la Motte, des Infoumas, des Costes, des Héritiers, - avec des cadeaux offerts, provenant de la tannerie familiale - . J'ai donc pu obtenir aussi de ces familles ce qu'il nous manquait : lait, beurre, pain, tourtes, jambon, pommes de terre, etc... que je pouvais ainsi ramener pour notre ordinaire.
Puis un jour, à notre grand étonnement, nous avons vu arriver une « masse » militaire. A notre stupéfaction, il s'agissait des soldats italiens de la garnison de Gap qui, ayant déclaré cesser tout combat en liaison avec les allemands, empruntaient le chemin du Roy pour se rendre via Monnetier-les-Bains, vers les cols italiens. Nous avons été très embarrassés de découvrir qu'ils avaient abandonné armes et munitions tout au long du chemin. Ces armes sont restées très longtemps cachées sur place : nous nous sommes bien gardés d'en parler.
Dès le mois d'octobre, notre ligne téléphonique fut fréquemment coupée et réparée aussitôt par Buchet et moi-même, mais, avec les premières chutes de neige, fin octobre et la disparition de notre mule, ce fut l'isolement complet.

Durant ces mois de fin 1943, particulièrement enneigés, notre programme fut très différent : ski vers le Vieux-Chaillol, surveillance de la centrale électrique, bon feu dans la cheminée du chalet assuré par du bois coupé par les gars avant leur départ en septembre, invitation de Ravoire aux chefs de chalets environnants, également vidés de volontaires, les parties de cartes très fréquentes, et les nombreuses invitations chez les « notables i» (Mauberet et Genselm), mais surtout, pas question de s’éloigner de Molines ou de descendre à Gap, les Allemands étant très désagréables !!! Seule exception, un stage de ski de 15 jours au Bess (hôtel réquisitionné), là où nous étions passé pendant le raid, avec la fréquentation journalière des installations toutes proches du téléphérique Serre-Chevalier/Serre Ratier (le premier installé en France).


La fin du Centre d’Ancelle et de l’équipe de Molines en novembre 1943.

Fin octobre, le chef Ravoire apprend d'Honoré Bonnet, en place au siège du Groupement JM « Dauphiné » à Saint-Bonnet, que les Allemands exigeaient le rassemblement de tous les membres de Jeunesse et Montagne se trouvant encore dans les chalets du Dauphiné.
J'avais lié avec Ravoire des liens très amicaux et il me dit :
« Je vais te remettre un certificat de libération dont la signature est illisible. Tu ne feras donc plus partie de Jeunesse et Montagne. Mais je te conseille d'en faire bon usage et de ne pas te faire remarquer. »
Très bon conseil puisque, fin novembre, j'ai dû rejoindre Gap où déjà de nombreux camarades attendaient dans ce cantonnement Jeunesse et Montagne, un ordre de départ pour Périgueux Saint-Astier.
Ce fut le départ en train : après trois jours d'un voyage interminable (bombardements des voies, ponts rendus inutilisables par le maquis), nous arrivons à Périgueux. Quelques 300 Jeunesse et Montagne, rassemblés dès 16 heures dans une caserne où Jeunesse et Montagne avait trouvé à loger son personnel, très voisine de la gare, nous assistons à la cérémonie « des couleurs ».
Le chef de centre nous dit solennellement :

« Vous en avez fini envers le Maréchal ! Rompez les rangs ! »

La plus grande partie d’entre nous avait bien compris et de très nombreux se retrouvèrent dans des cafés, dans le hall de la gare, dans la gare routière. Très peu sont partis pour la destination de Saint-Astier, à 20 km de Périgueux, où il était question de construire, sous l’égide de la SNCASO de Bordeaux, une usine souterraine d'aviation pour les Allemands.


Fidélité à Jeunesse et Montagne

Pour moi, c'en était fini de ce séjour enrichissant à Jeunesse et Montagne où j'ai réellement consolidé mon esprit de vivre avec les autres, mes qualités sportives, d'endurance, de patriotisme.
Jeunesse et Montagne avait rempli son contrat :

« Puisque nous ne pouvons plus former des soldats nous allons former des hommes »


Quelques mois plus tard,
- c'est le débarquement en Provence de l'Armée d'Afrique, le 15 août 1944,
- c'est mon engagement, le 22 août 1944, au 5ème Régiment de Chasseurs d'Afrique (5ème R.C.A.) de la 1ère Division Blindée (1ère D. B.),
- ce sont, durant neuf mois, nos combats pour la libération de la France, le passage du Rhin le 6 avril 1945, les opérations en Allemagne pour arriver dans le réduit Bavarois aux portes de l'Autriche,
- c'est, en juillet 1945, d’ordre du secrétariat du général de Lattre de Tassigny, ma mutation à la Production Industrielle dans la zone d'occupation française à Baden-Baden.
- c'est ma promotion rapide à 22 ans, au grade d’officier de contrôle, comme en témoignent les ordres de mission que j’ai conservés.
- c'est mon retour en faculté à Lyon pour terminer mes études de chimie et le titre d'ingénieur chimiste que j’ai obtenu !


Oui, cette activité, je la dois à Jeunesse et Montagne. Durant quarante ans, j'ai eu une vie super active, arrêtée malheureusement par un infarctus très sévère.
En 1981, je retrouve Jeunesse et Montagne en organisant avec mon ami Jean Thielen, une rencontre des anciens du Dauphiné et surtout une cérémonie du devoir envers notre camarade Buchet, mort en 1944 lors des combats pour Grenoble, compte rendu adressé au président Méjean, pour publication dans la revue Jeunesse et Montagne.
J’avais alors invité les familles de Molines, de la Motte et des autres villages qui ont généreusement participé au repas en faisant cuire des tourtes, du bon pain et les poulets que nous avions apportés dans le vieux four du village.
Lors du repas, les fils Genselm et Maubert nous avouent que la coupure de la ligne de téléphone c'était eux, car ils se vengeaient de notre initiative d'organiser nos bals qui vidaient toutes les jeunes filles des foyers et comme le mal s'accentuait, ils ajoutèrent que la mule, c'était encore eux, car nous n'avions rien compris.


Épilogue

En 2009, lors d'une réunion du Cercle Jeunesse et Montagne de Marseille, le président de l’Association, le général René Méjean me dit avoir été chargé, dès 1941, de l’organisation des chalets de Saint-Etienne-en-Dévoluy, à quelques 30 kilomètres du Centre d’Ancelle dont dépendait Molines. Et plus tard, en fin 1943, chef de centre de Haute-Savoie replié à Périgueux- Saint-Astier, en Dordogne, il avait reçu les jeunes du centre d’Ancelle, mais se rappelle que ces volontaires comme tous les autres, furent renvoyés chez eux à la dissolution de JM, le 31 janvier 1944. Et que c’était bien lui qui, à cette occasion, nous avait adressé le dernier message à Périgueux : « Vous en avez fini envers le Maréchal. Tâchez d’en finir avec les Allemands ! »


Louis Arnaud – Marseille - 2011