Transfert du Centre de Saint Pierre-de-Rumilly à Périgueux
Saint-Astier (Périgueux)
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B.A Toulouse-Blagnac

Transfert du Centre de Saint Pierre-de-Rumilly à Périgueux
(Novembre à décembre 1943)

Ce déménagement est commandé par les Allemands, certes, mais dans les conditions préparées par la politique de Vichy, du Vichy des généraux Air et surtout du général Jean d’Harcourt, à la Jeunesse Aérienne : « pour Jeunesse et Montagne, proposer le « travail obligatoire » ordonné par les Allemands en usine aéronautique ou Ateliers Industriels de l’Air, même s’ils travaillent pour les Allemands, mais installés en France métropolitaine de façon à éviter le départ de nombreux chefs en Allemagne au titre du STO et pouvoir compter sur eux plus tard ».


Les groupements Savoie et Haute-Savoie sont désignés et donc le Centre de Saint-Pierre pour affectation à la puissante SNCASO (Société de Constructions Aéronautiques du Sud-Ouest) de Bordeaux.

Seul le groupement Dauphiné (centres d’Ancelle du lieutenant, mon copain, Albert Constant et de Saint-Etienne en Dévoluy de Leininger) restera en place. Avec très peu d’effectifs puisqu’il n’y a plus de recrutement important et que Jeunesse et Montagne sera dissous, d’ordre allemand, en fin janvier 1944. Les quelques cadres d’Ancelle et de Saint-Etienne, toujours dépendant de la Jeunesse Aérienne de Vichy, continueront à être rétribués et attendront les ordres d’action clandestine des états-majors clandestins Armée Secrète (A.S.) ou Organisation de la Résistance de l’Armée (O.R.A.) du général Revers.



Lettres des 4, 5, 6, 7 novembre 1943

J’annonce le départ appris aujourd’hui, mais dont on savait l’inexorable certitude et j’écris :

« Comme les Chantiers (de la jeunesse Française), nous allons être obligés d’aller travailler dans les usines et pour nous ce sera l’Aéronautique. On sait que cela vaut mieux, pour les chefs (officiers), que de nous obliger à faire le STO en Allemagne, indisponibles pour plus tard. Seulement cette mesure devrait être mise à exécution plus rapidement que ce que nous souhaiterions. Et les Allemands souhaitent nous éjecter de la région, c’est pourquoi le départ pourrait être très rapide.

Poncet est allé à Grenoble avant-hier et ce sont les tuyaux qu’il ramène. De plus on lui a affecté pour les centres de la Haute-Savoie trois endroits dans le Sud-ouest : Figeac où se trouve déjà le centre de Thorens (celui de Ménétrier avant sa maladie), Toulouse pour celui des Contamines de Riss et Périgueux où il compte me mettre avec le centre de Saint-Pierre, lui-même et le groupement s’installant à Gourdon dans le Tarn et Garonne.

Donc si tout se réalise tel que c’est décidé, je peux me trouver à Périgueux d’ici peu de temps. Le principal sera de trouver un logement, j’espère y arriver vite et ainsi, avant l’hiver, nous serions réunis à nouveau. Je suis heureux du choix de Périgueux, belle ville retirée des grands axes et où il n’y a pas de problème pour la nourriture. Je m’attache au problème crucial, le déménagement et j’ai cogité là-dessus, tout aujourd’hui !

Pour tout de ce déménagement de nos malles, je compte utiliser les matériels roulants réquisitionnés qui emmèneront les matériels du centre. Sécurité, gratuité et pas de limitations de poids ! »

Les lettres suivantes sont de même style : finir les malles pour moi, le soir, en rentrant, fatigué de longues journées. Je raconte la visite d’une coupe de bois, d’abord sur place près du village de Saint-Pierre où je suis allé avec M. Ville, à pied, pour une bonne marche par un petit froid et de la neige poudrant un peu le sol. Nous étions de retour pour 11 heures. L’après-midi a été consacrée à la libération de cent volontaires qui rentrent chez eux mais risquent d’avoir à faire le STO. Gros froid sur un peu de neige tombée, le lendemain pour aller à bicyclette à La Roche sur Foron voir le propriétaire d’une autre coupe envisagée. J’ai attendu un peu plus de soleil avant de partir.

Ma lettre du 10 novembre raconte le coup de sonnette de deux Allemands sortis d’une camionnette rangée contre le trottoir. Ils m’expliquent qu’ils viennent chercher le vin pour M. Lapierre de Chamonix. Effectivement j’avais proposé ce vin à cet ami, ayant un tonneau envoyé de Calvisson par le beau père, à vider avant le départ. Mais penser que ce sont des Allemands qui viennent le chercher, chapeau ! Je vendrai le reste un peu à M. Richard, un peu au boucher et donnerai trois litres pour la popote.


Premières impressions sur le futur immédiat

Je raconte que Guillaume, mandaté par le groupement où il est l’adjoint de Poncet, revient du Sud-ouest où il a vu les nouveaux lieux de repli, rencontrant à Périgueux, le directeur de la SNCASO où je dois être affecté avec mon centre. Mais rien de précis, bien sûr !

Ma lettre du 17 donne quelques précisions sur l’avenir. Je cite Guillaume qui a vu sur place mais incapable de précisions ! Il croit savoir que des villas sont ouvertes aux officiers dans les environs immédiats de la casernemais il n’a rien vu et il dit que la ville est très sollicitée pour les résidences de refuge !

Je précise aussi notre future occupation : « nous travaillerons à la finition d’une usine souterraine pour la SNCASO, la grande entreprise française de construction d’avions mais pas directement pour les Allemands, et à un autre travail de remise en état. » Je parle de près de 500 bonhommes à moi confiés pour cette œuvre. Dans une lettre du 18, je parle aussi du départ pour un aller et retour pour moi à Périgueux avant le départ définitif.

Je dis que les commerçants que je vois ont du regret de nous voir partir et souvent me disent : « Alors ! On ne reverra pas Madame Méjean ? » Et je leur réponds : « Et non ! ». Je dis aussi que le groupement s’installera ailleurs qu’à Périgueux et que nous n’aurons plus les Guillaume et que les chefs qui me suivent ne sont pas mariés et que ce sera un peu triste pour notre ménage !


Périgueux et Saint Astier
(23 novembre 1943 à juin 1944)


A partir du 23 novembre, les lettres seront doublées de l’écriture d’un journal davantage réservé à la vie si particulière du Centre.

Par contre, en ce qui me concerne, je me répands, dans mes lettres, plus que dans mon journal, sur la difficulté de ma vie à Périgueux : peu de moyens, (on ne m‘installera le téléphone qu’à mi-janvier 44) et la distance de 18 kilomètres, entre les deux lieux de vie, engendre beaucoup de perte de temps et est physiquement éprouvante, pour des résultats toujours incertains si même, ils ne sont pas remis en cause.

Du 23 novembre au 28, je suis à Périgueux en mission de reconnaissance.

Je reviendrai à Bonneville du 29 novembre au 2 décembre pour une arrivée définitive à Périgueux le 3 décembre au matin.


Mardi 23 novembre 1943

Ma lettre commence ainsi :

« Le voyage : un poème ! Les trains sont heureusement chauffés car il faisait très frais. Mes gens du voyage : le chef d’équipe Vinay et un chef de groupe du Centre de Riss aux Contamines qui doit aller prospecter à Figeac pour l’installation de ce Centre. Voyage assis jusqu’à Lyon, où nous sommes arrivés à14 h 30, après un bon repas au Wagon restaurant, pas mal. Là, correspondance ! Il faut tuer le temps : froid ? Cinéma ! « Pontcarral, colonel d’Empire ». Pierre Blanchard, superbe en uniforme toujours impeccable et Annie Ducaux, mots gentils, apartés sentimentaux !

A 19 h 30, train de nuit archi bondé ! Et du grand parcours : Saint-Etienne, Roanne, Saint-Germain des Fossés, Gannat, Montluçon, Limoges, Périgueux ! Nous avons progressé, du fait des destinations desservies, d’une longue station dans le soufflet, au départ, puis couloir, puis enfin assis en première, une place pour nous trois à se relayer jusqu’à Montluçon (vers 2 h du matin) où trois places se sont libérées ! Repos bien gagné et petit déjeuner au wagon restaurant.

Arrivée à Périgueux à 7 h du matin. Nous prenons logement à l’hôtel de France, où nous nous sommes changés, rasés, douchés. Puis en route pour les liaisons. Nous n’avons aucun droit direct d’installation en milieu militaire. C’est à la SNCASO de nous fournir de quoi loger et vivre. Dansun premier temps, ce fut le directeur de la SNCASO qui fit les démarches pour notre installation dans la caserne Bugeaud, pratiquement peu occupée ! »


Mais comme nous le verrons, la SNCASO nous poussa vite à chercher des terrains pour installer un camp à Saint-Astier mêmeoù se trouve l’usine. Mais en attendant, nous devrions loger, en arrivant, à la caserne Bugeaud. Je précise par lettre « que la caserne est très grande, sous la responsabilité du capitaine Authelin, « gardien » des lieux, hébergeant un directeur destravaux publics, et le PC du capitaine de la compagnie de DCA (1) dont le personnel loge là. Très vaste, mais assez décrépite, elle a besoin d’un lifting, manifestement !»

Elle fera notre affaire sous réserve d’un bon travail sur la planche ! Je prends contact avec les différents officiels et les officiers avec qui je vais avoir à travailler.

Nous visitons le quartier, faisons connaissance avec le directeur des travaux, M. Moquette et son adjoint, M. Judic, le capitaine Authelin, puis le capitaine commandant la Section de défense aérienne Française et ses lieutenants, logeant ses troupes en caserne (et quelques Allemands pour la liaison entre anti-DCA française et Luftwaffe), mais aussi M. Chantesais, agent de la SNCASO qui s’est chargé des accords avec l’Armée.


J’obtiens une audience du Préfet, jeudi, pour les réquisitions. J’envoie un message officiel pour demander l’arrivée de Joubert (2), au plus tôt, (pour jeudi si possible). J’attends la réponse. Vu le commandant Thomas, intendant en second, bon accueil ! Tout a l’air de s’arranger ! Couvre feu à 19 heures. Pour permettre au personnel de rejoindre son chez soi, le repas est fixé à 18 h 30. Dodo à 20 h 30, tout à fait possible, ce que j’ai fait.


Mercredi 24 novembre 1943

Départ à 6 h pour prospection à Saint-Astier, à 18 km de Périgueux en aval vers Bordeaux. Là, vu M. Rochon, contremaître en chef des travaux. Je visite l’immense usine souterraine (3), déjà aménagée, commencée en juillet 43 et devant se terminer en février 1944. Vu ensuite M. Dos, directeur de l’usine SNCASO à Bordeaux et des architectes, des agents techniques, tout un monde nouveau pour nous et agréable de commerce, se demandant bien ce que nous étions !

Après les entretiens sur les problèmes posés pour le repas de midi des jeunes, et de transport par SNCF, matin et soir, de Périgueux, (logement à Bugeaud) et retour le soir, M. Dos me parle d’une participation plus directe de JM à la vie de l’usine : stages d’apprentissage puis de spécialisation. Il s’élève contre le caractère temporaire (8 mois de service seulement) de l’installation de JM à Périgueux, et en général auprès des usines. Il estime en effet qu’il y aura une perte considérable de rendement pour l’usine au cas où les jeunes seraient enlevés brutalement par fin de service ou mutation, alors que l’usine les a déjà initiés à leur travail.

Je réponds que ce n’est pas de ma compétence. Il enconvient mais on voit qu’il n’y a aucune adaptation entre ce que recherche JM (empêcher jeunes et chefs de partir en STO en Allemagne) et les objectifs industriels d’une entreprise.

Il pleut à verse et je repars au train de 10 h 30, laissant Vinay sur place avec mission de trouver une solution pour installer cuisine et réfectoire. L’après midi, sur un grand plan, je préfigure l’installation de la caserne en bureaux et chambrées et je mets sur papier la liste des problèmes à régler avec les différents services.

Je prépare aussi l’arrivée de Joubert de façon à ceque les vingt-cinq gars disposent à leur arrivée de soupes chaudes, de chambres chauffées et de lits prêts.

Le soir, toujours sous la pluie, Vinay, au retour de Saint-Astier, rend compte de sa mission : il a repéré trois terrains et d’accordavec lui je retiens le mieux placé à proximité de l’usine. Je le mets en route dès demain sur Saint-Pierre : il ira convoyer son équipe restée en Savoie.



(1) Les fameuses Compagnies de DCA de la Défense Aérienne confiée, par tractation avec les Allemands, au général Carayon, Secrétaire d’Etat à la Défense Aérienne, àVichy, qui jouera un très grand rôle pour Jeunesseet Montagne, hébergera dans son cabinet Henri Ziegler, et ses travaux clandestins en liaison avec Londres et sera arrêté par les Allemands et déporté en forteresse.
(2) Chef d’équipe remarquable de la promotion 1941 de l’Ecole de l’Air
(3) Creusée dans une ancienne carrière de pierre à chaux. L’entrée est une simple ouverture dans la colline crayeuse. A l’intérieur, les galeries de 20 m de large, 10 m de haut et s’étendant à l’infini, avec les gros piliers de soutènement naturel laissés en place pour soutenir la voûte. Tout est électrifié et le sol sera nivelé, cimenté. 40 à 50 m sous terre à l’abri des bombardements. Travaux commandés par les allemands, totalement absents de l’organisation actuelle. Il y en a pour des mois de travail, pour une destinée non définie. Espérons que cela servira la France, la guerre finie.

Jeudi 25 novembre 1943

Levé 8 h 00. Ensuite, aller à la caserne régler lesproblèmes de subsistance avec la SAP. Je demande le repas de midi et soir seulement. Après, nous ferons notre cuisine nous-mêmes, ce sera plus simple ! Après quoi, à dix heures nous voyons le préfet (4) (sans résultats pratiques d’ensemble mais réquisition des chambres à l’hôtel de France pour moi et les chefs actuellement présents). Après midi, en réponse au télégramme au Groupement à Gourdon, pour l’arrivée de Joubert et de ses 25 gars, jeudi. On me répond que ce sera pour samedi soir et avec 10 gars seulement : décevant !

Après quoi, je vais au quartier Bugeaud, et me fais indiquer tous les locaux disponibles pour nos différents stockages. Le capitaine Authelin est tout à fait acquis à notre cause. Après quoi, téléphone à l’Intendant, que je rencontre en personne à la Manutention. Ensuite, visite à l’ADAC, (Association des Anciens des Chantiers - de Jeunesse -), où je rencontre un très chic ancien chef de groupe.- prêt à nous aider -.


Vendredi 26 novembre 1943

Dès mon lever, demande de ligne téléphonique aux PTT (5), puis course à la caserne où je devais trouver M. Judic, directeur des Travaux Publics (absent). Je vois M. Moquette et Chantesais (SNCASO). Les cantonnements pour les équipiers de Joubert sont prêts : pas mal installés ! Encore quelques questions de détail réglées !

L’après-midi, courses et liaisons à la gare pour laréquisition de wagons de transport de troupe vers Saint-Astier, puis liaisons aux Subsistances, à l’OCADO et à l’abattoir, etc. J’ai enfin reçu le vélo JM promis qui arrive après quatre jours de voyage. Ensuite caserne pour parfaire l’installation des cantonnements des gars de Joubert. Enfin ponte de quelques notes de service !


Samedi 27 novembre 1943

Aujourd’hui, j’attends Joubert et ses dix volontaires (trois télégrammes me les annoncent). Hélas, le soir sur le quai de la gare que j’arpente vainement, je ne vois rien venir. Sans doute est-ce une correspondance ratée et je redoute que mes hommes n’aient une nuit et une bonne matinée avant de rejoindre. Je préviens une fois de plus les gens de la caserne (cuisiniers, gardes civils etc.) qu’ils peuvent rentrer et ne pas se déranger.

Dans la journée, j’avais fait du bon travail : j’ai à peu près réglé le problème du logement : à la caserne pour les célibataires, en pension de famille pour les mariés. Le secrétaire du syndicat hôtelier doit s’en occuper en mon absence prochaine. A la préfecture, visite pour du charbon de bois. Et le soir, j’ai le plaisir de rencontrer deux anciens de JM, Cabaillot, que j’ai connu au camp baraqué et un autre Desmoulins, connu aussi à Grenoble. Nous parlons longuement.


Dimanche 28 novembre 1943 : dernier jour, je repars et laisse Joubert sur place.

A 9 heures, je vois Joubert, débarquer à l’hôtel. Les dix hommes sont là. Après les avoir laissés s’installer, à midi, je vais manger avec eux et Joubert. Le soir douche, je les laisse se reposer et ils ne sortent pas. Je laisse le soir même, le commandement à Joubert et à 22 heures, je reprends le train pour Saint-Pierre où j’arrive le lendemain soir 29, à 20 h 30.



(4) Je précise par lettre que « la préfecture est double Dordogne, bien sûr, mais aussi Bas-Rhin,». Effectivement le Bas-Rhin est replié depuis le début de la guerre puisqu’on a évacué tout l’hinterland entre Frontière allemande et ligne Maginot, et donc Strasbourg. Et que je ne voulais traiter que de la réquisition de logements en hôtel pour tous les cadres.
(5) Je ne l’aurai que le 15 janvier 44.


Départ définitif de Saint-Pierre


Mardi 30 novembre et mercredi 1er décembre 1943 : préparatifs du départ.

Lequel doit avoir lieu le 2 décembre à 17 h.

Cinq wagons fermés et un wagon plateau sont demandés : matériel hippomobile, infirmerie, gros matériel les occuperont.

Je crée deux détachements ; le normal avec moi-même, Meyer, Vinay, Jassin, Neymoz, Triscos et dix-huit volontaires.

Le postcurseur avec Berthémy, Valois, Gobern et quelques spécialistes. Nous accompagnera un wagon de vingt tonnes de pommes de terre.


Jeudi 2 décembre 1943 : départ de Bonneville et arrivée le matin du 3 à Périgueux.

Enterrement de la popote, photos, larmes : adieu Saint-Pierre-de-Rumilly et Bonneville. Tous, nous y aurons passé un peu plus d’un an ! Arrivés en début octobre 1942 et départ début décembre un an plus tard.


Le lendemain soir, 3 décembre, nous arriverons après un long voyage, à 20 h 50, à Périgueux. J’écris que « les 3 valises et le sac de montagne avec leurs 10 pots de confiture sont bien arrivés, pas de casse ! » ; « que le train Lyon Saint-Etienne, Montluçon, Limoges, Périgueux était archi bondé : restés d’abord dans le soufflet puis dans le couloir puis une place pour trois en 1ère puis, enfin, une pour chacun, à Montluçon, à 2 h du matin. »



Samedi 4 et dimanche 5 décembre 1943

Dès le lendemain matin, chacun s’affaire à s’installer. Occupations multiples, chaque chef dans sa spécialité, son bureau, ses marques prises. A midi, popote, nous mangeons à l’ordinaire où Joubert a tout préparé comme un roi. Les volontaires sont heureux, les chefs les accompagnent et l’on chante avec entrain. Nous faisons le tour du propriétaire, bureaux, chambres aménagées par Joubert, l’infirmerie.

Quartier libre est donné de 16 à 19 heures, samedi et dimanche toute la journée.

Moi-même je prépare l’organisation du centre, maintenant que le gros est là. Finalement il n’ya qu’une trentaine de volontaires !


Lundi 6 décembre 1943.

Le clou de la journée ! Le télégramme du Commissaire Chef, de Roussy de Sales, que je vais faire soigneusement encadrer : « Commissaire chef à chef de détachement Jeunesse et Montagne, Caserne Bugeaud. Périgueux : « Faire parvenir d’urgence votre adresse exacte. »

J’avais envie de renvoyer le télégramme lui-même par lettre express, en mettant : « Voir au dos de votre texte !! »>/p>

Travail à l’aménagement qui semble mal organisé : àéclaircir. Préparation des perceptions de vivres, vin et tabac à l’Intendance.Les 2 wagons de pommes de terre viennent d’arriver mais comme il pleut et qu’ils nesont pas couverts, il faudra faire sécher. Comment ? Où ? Du mieux possible ! On nous prévient du départ de Saint- Pierre des wagons de matériel et de transport des mulets. Les services transport sont mal organisés et souffrent de manque de personnel et de pénuries diverses. Les jeunes perçoivent leur première ration de tabac. Lesoir on continue à manger tous ensemble et à prolonger par une veillée. Joubert prépare les festivités de Noël.


Mardi 7 décembre 1943

Fin de l’arrivage des pommes de terre : gros travail car on est obligé de les étaler dans les écuries, vides heureusement, pour les faire sécher avant leur stockage en cave ! On achètera même de quoi les chauler. On monte le mât pour les couleurs, on cherche un garage et Vinay et Triscos y passent leur journée. Quelques chambres pour les chefs sont trouvées par Neymoz. Le soir, ànouveau, belle ambiance autour de chants de préparation de noël et l’équipe Bertoud fait un petit dégagement.


Mercredi 8 décembre 1943.

Je vais à Saint-Astier, laissant Joubert aux commandes. Je retrouve M. Bourdic, directeur de la Société Bordelaise de Travaux Publics, M. Franceson, directeur de la production à la SNCASO , M. Dumerle, professeur à l’Ecole supérieure d’Aéronautique, Mrs Lévrier et Larrivière, directeur et sous-directeur du siège social de la SNCASO, M. Boudin, directeur régional des usinesde Bordeaux, Mrs Tesse et Bos, directeur et adjoint directeur des usines de Bordeaux, et enfin les Inspecteurs en chef des Ponts et Chaussées, Mrs Chamboredon et Pichot.

Il est difficile d’obtenir de ces messieurs d’autres conversations suivies que quelques bribes. Tous sont intéressés par la main d’œuvre que nous leur apportons mais on sent qu’il n’y a pas de plan suivi et clair ni de direction.

L’un demande 1 000 volontaires, l’autre veut faire déménager rapidement la caserne. Néanmoins quelques points semblent se préciser, en particulier le démarrage de l’Ecole de rééducation de Périgueux etla possibilité d’y admettre nos jeunes dès février. Un repas copieux et fin est servi à midi à ces messieurs et j’en profite.

Aux cigares, les questions de service reviennent sur le tapis : en particulier l’installation de la cantine des volontaires à Saint-Astier que je veux séparée de celle des ouvriers de l’usine, plus dispendieuse et hors cadre JM, bien sûr. Il est convenu que nous utiliserions la salle de la cantine des ouvriers mais que nous ferions nous- mêmes notre cuisine. Pour cela j’ai demandé l’installation d’une baraque à proximité de l’usine même s’il est impossible de l’avoir rapidement. Demande en sera faite au commissariat JM.

A mon retour à Périgueux, je retrouve le mât prêt à recevoir les couleurs, un garage a été trouvé et des réalisations au point de vue des installations.


Jeudi 9 décembre 1943.

Les couleurs sont hissées pour la première fois à 8h. On m’annonce l’arrivée de quatre wagons de matériel : charrettes, infirmerie,gros matériel : impossible d’avoir de quoi décharger dans l’après midi, on reporte au lendemain.

Les pommes de terre sont sèches. Je mets en place les lits pour les jeunes incorporés du 15 dont je me demande avec inquiétudequand ils arriveront et comment. Les bruits les plus divers circulent à ce sujet. Nous attendions notre ami Berthémy, parti depuis mardi soir et pas revenu encore. Je mets au point une note de service d’organisation provisoire de la semaine et du Centre. Tout paraît assez bien marcher finalement.


Vendredi 10 décembre 1943.

Je prévois de faire partir Vinay et trois volontaires samedi pour Saint-Astier voir sur place l’installation des cuisines pour la cantine des volontaires, à la SNCASO. Journée chargée. Des crédits « Foyer » nous sont accordés. J’envoie Broudel acheter livres et disques pour Noël.


Samedi 11 et lundi 13 décembre 1943.

Le samedi, arrivent les deux wagons, attendus de Saint-Pierre, avec les caisses et malles des chefs (dont les miennes, mises de côté par les gars en mon absence), les mulets et du matériel d’ameublement.


Mardi 14 et mercredi 15 décembre 1943.

Arrivée de Lafforgue, le moniteur artisanal bois de Saint-Pierre. Il s’installe au rez-de-chaussée et prend son matériel en compte. Je le lance sur la pose de serrures et met Bonnardel, l’électricien à la mise au point de circuits électriques convenant au personnel. Le réfectoire de la caserne s’installe avec disponibilité de 200 volontaires par service. Valois arrive de Grenoble, très inquiet. Son père a été arrêté par la Gestapo et il n’a aucune nouvelle.

Le garage se fait attendre. Le propriétaire a les bras longs et fait traîner la décision de réquisition

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Le soir, nous inaugurons le Centre à la caserne : petit repas à la popote, en petit comité où nous invitons M. Chantesais. Les volontaires chantent.

Le programme de Noël est mis au point et tout le monde y travaille.

Je téléphone au commissariat de JM pour donner le résultat de l’incorporation pour nous ; toujours rien : on ne sait encore quandles jeunes arriveront, ni d’où, ni avec quels chefs.

Les premières piqûres ont lieu pour une partie de l’effectif ? Le mercredi on reçoit l’autorisation d’engager 3 000 F pour l’arbre de Noël.


Jeudi 16, vendredi 17 et samedi 18 décembre 1943

Les lits pour nos futurs arrivants se montent mais on attend aussi à la caserne 150 requis civils qui devront s’installer dans les étages où je voulais loger les volontaires. Travail à recommencer ailleurs. Je rencontre le capitaine Devaux, au sujet des tinettes qui évacuent mal puis je vais me présenter au colonel Schneider qui commande la Subdivision et à l’Intendant du commissariat des subsistances de la Dordogne.

Ce dernier nous alloue une coupe de bois de moitié avec ses services près des Eyzies. J’y partirai le samedi avec le commandant Thomas et le Capitaine Sergenti de l’Intendance de Périgueux.

Le confort logistique est moyen mais cela ira. On annonce et j’attends les camions avec du charbon et des matériels divers (tentes, roulante etc.).

Le dimanche, le centre est en vadrouille après la semaine de gros travail. Mais moi, je suis obligé, comme chef de centre, d’assister à une réunion des chefs de districts de l’Association des Anciens des Chantiers (de la Jeunesse Française), l’ADAC auprès du commissaire adjoint Dupont, chef de l’ADAC. La réunion sera très sympathique. Deux parties (matin information, soir action). Cela me permet d’entendre Dupont sur la politique actuelle de l’ADAC et les commandants Pommeyrol et de Ravignon sur « Devoirs d’état et la Corporation paysanne et l’ADAC. » L’après midi a lieu la discussion de l’action menée par l’ADAC surle département : suivi de colis, collecte etc. etc. Tout cela a l’air de bien marcher et son chef Dupont, un homme dynamique.


Lundi 20 décembre 1943.

Noël s’avance et tout le monde s’y prépare ; achat d’arbres de Noël, d’objets et préparation du réveillon. Le dégagement est mis surpied. Il se fera avant la messe de minuit et le réveillon clôturera. Les volontaires pourront obtenir quelques jours de permission pour le Nouvel An.


Mardi 21 décembre 1943.

Jassin rentre et Gobern le chef comptable tant attendu arrive enfin. La journée est donc administrative au possible. Nous remettonsentre les mains des responsables ce qu’ils ont à gérer. Valois nous quitte définitivement et la popote lui offre un bon petit repas. Voilà du bon travail de fait. L’écusson de JM trône à l’entrée de la caserne.


Mercredi 22 jeudi 23 décembre 1943.

Fin de l’installation du couchage dans de nouveaux locaux pour les volontaires en attente d’arrivée.


Vendredi 24 décembre et samedi 25 Noël 1943.

Le soir dégagement comme préparé et prévu. Très bien. Puis à 23 heures réveillon. Un jeune abbé réfugié et invité s’entretient avec ceux qui le souhaitent. La messe de minuit vient ensuite et tout le monde au dodo après ! Je m’attarde sur le profit de cette journée et des précédentes sur la formation de l’esprit d’équipe. Joubert le chef d’équipe des jeunes (Ecole de l’Air) réussit bien, malgré l’absence totale de moments d’entretien avec les jeunes au boulot du matin au soir. Même si le tout s’est bien aggloméré et forme maintenant un ensemble, les jeunes sont malheureusement très mous et réagissent très mal. On a besoin d’un fouet. Mais la situation de guerre et l’avenir totalement imprévisible rend peut-être ces jeunes, séparés de leur famille, inquiets et sans volonté de participer autrement que d’obéir aux ordres.


Semaine du 26 au jeudi 30 décembre 1943.

Berthémy me remplace pendant trois jours d’absence.On continue l’installation : on rentre les pommes de terre enfin sèches en attendant encore d’autres wagons, les derniers.

Les volontaires partiront le jeudi soir et il n’en restera que quatre sur place, avec un chef de patrouille. Les chefs sont rentrés eux, sauf Berthémy qui part à son tour ainsi que Joubert (Ecole Air) et Pérriot.

Je suis content de l’esprit d’équipe des chefs qui se renforce et il est indispensable de le forger à fond, au plus tôt dansce climat d’incertitude. Encore un chef nouveau, Beau (Ecole air) en provenance d’Ancelle (centre du Dauphiné, resté sur place, mais vide de volontaires). On m’en annonce d’autres.


Vendredi 31 décembre 1943.

Enfin arrivée des wagons : il n’y a plus personne sauf les chefs ; on s’y met tous, moi le premier ! Le chargement a été fait en vrac et c’est horrible à voir. Le déchargement en est d’autant plus pénible ! Il ne pleut pas et le temps est correct !

Encore un chef arrivant de Gap ! Je téléphone à Rougevin-Baville qui m’a appelé et il m’annonce l’arrivée de volontaires à aller chercher aux Chantiers : 196 au total, pour commencer ! Il me dit que ce sont des jeunes libérés de leurs huit mois de service obligatoire mais qu’ils sont requis. Je préfigure que cela ne gazera pas très bien ! J’espère avoir des chefs à la hauteur !

Je détache un chef à Saint-Astier pour m’y seconder. Pour Toulouse et les nouveaux arrivants, je dois y être mardi 4, où Poncet le chef de notre groupement, muté avec nous et installé à Gourdon avec son Etat Major, me donne rendez vous : il sera sur place !


J’irai lundi 3 janvier 1944, à Saint Astier, mardi à Toulouse et mercredi, Saint-Astier à nouveau ! Rude travail par ces temps où rien ne va très bien pour les trains.

Je termine ce journal par ces quelques mots :

« L’année se termine, une nouvelle s’ouvre ! Que chacun dans notre sphère apprenne à se serrer les coudes pour être prêts le moment venu, à agir en Français, s’il le faut ! »


ANNEE 1944 : tout bascule !


Extrait de mon journal où j’ai transcrit toutes mes réactions !


Samedi 1er janvier 1944

Premier janvier ! Rassemblement général de tout le Centre pour un repas en commun : quatre volontaires, deux CP et huit chefs,voilà le Centre en ce début d’année.

Il faut lui souhaiter de bien marcher et de prospérer envers et contre tout car les circonstances s’y opposent ! Ne nous annonce t’on pas déjà la mise en civil de tous les jeunes et chefs, tous les soirs de 21 h à 6 h du matin !

Le problème est de faire vivre les jeunes : bien nourris, bien habillés, bien chauffés, voilà le principal car nous n’avons aucunidéal à leur proposer. Ils vont travailler en usine : mais à Saint-Astier, rien n’est encore fini de cette usine entièrement souterraine ! Et il faudra travailler….. pour sortir des avions allemands….. C’est impossible à défendre ! Heureusement, pour l’instant, nous n’en sommes qu’à niveler les sols et préparer les immenses salles de ces carrières de gypse ! Bref il faut vivre avant tout mais tout se conjugue pour de drôles de tensions !

Heureusement, les Allemands sont en déroute un peu partout !

Bonne année au centre, bonne année à tous ! Le menu: Pâté – Haricots Bretonne – Pommes frites – Côtelettes de veau – Dinde – Tarte – Café – Liqueurs le tout accompagné de chants JM.


Lundi 3 janvier 1944.

Prospection sérieuse à Saint-Astier en vue de l’installation du futur camp. Deux terrains sont retenus et nous louons le hangar de M. Emery et une pièce pour les vivres. Une villa est en vue pour le logement des chefs. A la SNCASO, personne !

A Périgueux, à la caserne, on poursuit l’inventairedu matériel récemment arrivé : on va à la paille, et au foin pour les mulets et au bois pour se chauffer.

Deux chefs d’équipe arrivent et des meilleurs : Jeanvoine et Paradis du centre Ecole. Cela fait déjà quatre sur lesquels je peux compter avec Caldeyron et Beau.

Le soir même, je pars pour Toulouse, via Bordeaux pour rejoindre Poncet comme prévu et s’occuper des jeunes enfin pour le Centre : on m’avait dit que ce seraient des « libérés des Chantiers ». Comment est-ce possible : je crains les premiers contacts et il faudra faire quoi ? Avoir la main dure ? Ce n’est pas notre idéal ! Mais il faudra les choyer et les mettre bien au point de vue matériel ! Ce sera le principal.


Mardi 4 janvier 1944.

Je retrouve le chef Poncet, dans la matinée. Nous avons rendez-vous à 15 h avec les Chantiers.

Nous rencontrons les chefs du Régional de Toulouse,Boyrie et Léon Dufour. Nous n’avons aucune précision autre que pour convenir de l’arrivage de ces 198 bonshommes pour le 12 janvier par paquets d’une vingtaine !

Au centre, j’avais laissé du travail à chaque chef : prospection pour l’essence, le charbon de bois etc. Vinay devait s’instruire sur les règlements de réquisition de la villa des chefs, trouvée à Saint-Astier. Nous attendons aussi la rentrée des volontaires partis en permission pour avoir quand même quelques effectifs !


Mercredi 5 janvier 1944.

Il faut encore rester sur place à Toulouse ! J’en profite pour visiter le Centre Heurtaux des Contamines de mon ami Joseph Riss. Atmosphère sympathique, semble t’il à l’Atelier Industriel de l’Air, organebien structuré de l’Armée de l’Air, et bien différente de tout ce que j’ai, moi, à monter à partir de rien, avec une entreprise totalement étrangère à nos coutumes et à nos habitudes.

Eux, ils sont installés à Blagnac dans des baraquesen bois construites par eux et pour eux. Avec cependant une couverture « feldgrau » gracieusement effectuée par les services allemands. Bien sûr, ce n’est en aucune façon la vie d’équipe et le moral des jeunes s’en ressent.

A 14 h, on m’annonce que les 198 jeunes que j’attends ne peuvent pas nous être affectés, d’ordre de la Production Industrielle ! Que se passe t-il ? Mais cela ne m’étonne pas trop, j’avais déjà exprimé ce pressentiment de bizarrerie !

J’apprends de Périgueux un incident avec les Allemands qui veulent se servir de notre infirmerie pour une visite médicale de STO et demandent une pièce fermée pour entreposer les vêtements des jeunes pendant leur visite.


Jeudi 6 janvier 1944.

Retour à Périgueux où, en mon absence tous les volontaires en perm et mes chefs sont rentrés. Welbacher, un chef d’équipe nous est affecté et a rejoint. A tous réunis, j’expose rapidement la situation actuelle sans m’étendre sur ce que j’attends d’eux, puisque je n’en sais rien, sauf en ce qui concerne la tenue.

Je décide que Berthémy, rentré de Paris, restera sur place à Saint-Astier à partir du 10 janvier. Vinay doit y convoyer la roulante et les tentes Sarrald et Galtier. Valois rentre de perm et met la comptabilité à jour avant d’être libéré. Foulards, cache nez et autres font leur apparition avec le froid : il va falloir lutter contre cela. Visite de M. Levrier, mon correspondant de l’usine,très froid depuis que les 198 hommes ne sont pas là et que ses plans ne se réalisent pas ! Et visite aux Allemands pour annuler les envies de ces messieurs sur notre infirmerie.


Vendredi 7 janvier 1944.

Il fait très froid. J’attends un coup de fil du Groupement de Gourdon, plus muet que jamais ! Le camion attendu pour 8 h 30, par Vinay et le transport de matériel à Saint-Astier, n’arrive qu’à 16 h. Vinay part pour Gourdon avec Lafforgue et deux volontaires.

Le magasin d’habillement est à jour mais il manque pas mal de matériel par rapport aux bordereaux d’expédition. On rentre du bois et du charbon.

Valois, avant d’être libéré, a établi la situation de l’ordinaire : il constate un bonus total de 75 000 F, ce qui me paraît exagéré, dont 21 000 pour le mois en cours. Le soir nous libérons Valois et le CP Cornu. Brulard les remplace au vaguemestre et au secrétariat.

Encore des reproches à faire au sujet de la tenue, il faut réellement réagir. J’attends des nouvelles de jeunes à venir et aussi sur la situation générale.

J’écris : « Il y a de quoi être découragé! »


Lundi 10 janvier 1944.

Ca y est ! Il faut prendre contact avec les Chantiers pour les opérations de prise en compte de jeunes. J’obtiens Bergerac avec les CJF 28 et 36. Nous pouvons venir le 12, tout sera prêt ! Je désigne Beau et Welbacher et arrêtons les mesures et les horaires pour leur retour jeudi soir, 13.

A Saint-Astier, Vinay fait signer les baux et conventions de location avec les propriétaires, (M. Doche pour la pièce d’entrepôt du ravitaillement et M. Emery Syllo pour le hangar).


Mardi 11 janvier 1944.

Nous sommes tous à Saint-Astier et apprenons de Vinay, catastrophé, que le terrain envisagé pour le camp, près de la rivière, est inondable. Nous sommes obligés de nous rabattre sur le deuxième possible mais qui manque d’eau, lui. Poncet ne veut pas construire en dur, et rester en Sarrald et Galtier, ce qui me paraît catastrophique car le moral va s’en ressentir ! J’espère le dissuader de cette décision et le convaincre, mais plus tard.

Pour l’instant aussi, le train ouvrier Périgueux Saint-Astier, pour le chantier de l’usine en construction est supprimé. Il faudra donc loger 60 de nos volontaires sur place, dans une ferme pour débuter le travail. M. Bos, le directeur de l’usine SNCASO est absent et nous aurions bien aimé discuter avec lui ! M. Mocquette de la Société Bordelaise de T.P., chargée du chantier de construction de l’usine, accepte de mettre les jeunes par équipe de JM constituée, comme je le lui avais suggéré.
C’est bien !

Nous restons à Saint-Astier et rencontrons le mairepour conclure sur nos retenues de terrain, telles que les avais menées Vinay, depuis longtemps déjà. Ainsi tout est en ordre sur le plan administratif. Repas en commun à Périgueux avec les chefs du Groupement : belle ambiance avec chants. Après quoi, nous mettons au point l’organisation de l’incorporation des jeunes des Chantiers et leur répartition en équipes.


Mercredi 11 janvier 1944.

Nous repartons tous pour Saint-Astier, Poncet, Riss, le toubib, Berthémy qui s’installera là-bas, en permanence et moi. M. Bos, directeur de la future usine SNCASO est là. Nous traitons avec lui des conventions : travail des volontaires, horaires, et même de la coupe de bois que nous avons prévue et signée à Nontron. Départ à midi et Poncet retourne à Gourdon.

A nous d’affiner, l’après midi les mesures d’organisation après les décisions prises ces deux jours : préparation de l’incorporation, mise en route du système de semaine, de la cuisine des volontaires sur place, du service du bois et charbon, (coupe de Nontron incluse). Mise en route des deux chefs pour les CJF de Bergerac pour demain. Jassin, mon bras droit administratif, part chercher son épouse et Joubert le remplace.

Dardilly, CE nouvel arrivé, ira faire la coupe prèsde Tursac, pas loin, avec 5 volontaires et je le mets en relation avec l’Intendance, responsable. Neymoz voudrait passer le concours des EOA.

Pour moi, je suis en grande attente et impatience de la fin de ces tergiversations et pouvoir remplir le contrat qui nous est confié.

Il faudra encore la journée du 12 pour peaufiner les mesures prises. La popote fonctionnera le 15, avec Joubert popotier et Triscos adjoint.

Le matériel défini pour Saint-Astier est revu et mis en place.


Vendredi 14 janvier 1944.

Mise en route du chef d’équipe Paradis et Caldéron sur Toulouse pour ramener enfin, les effectifs des CJF 30 et 23, dont on n’avait plus de nouvelles après notre équipée sur place avec Poncet, le 4.

Le même jour, Beau revient de Bergerac mais avec seulement, pour l’instant, 4 jeunes du CJF 36, sur les 6 prévus ! Malheureusement pour nous, ces quatre sont sur les listes des entreprises « J » et doivent être libérés ! J’attends une réponse du groupement !

Et on me demande trois jeunes pour demain, l’arbre de Noël des Travailleurs en Allemagne. J’y envoie aussi Jeanvoine pour me remplacer ! 9 volontaires sont de plus indisponibles pour 3eme piqûre et les services sont à court de personnel, rien que pour nous !


Samedi 15 janvier 1944.

Je crée un service « Education action Sociale et Sports », sur idée du chef de groupe Jeanvoine qui se chargera d’établir les programmes et de veiller à la participation des chefs et jeunes.

A 17 h, se pointe le camion ramenant, après de nombreuses péripéties le contingent du CJF 28 de Bergerac. Sur 46 examinés là-bas, 17 seulement sont présents et accompagnent Welbacher. On les bichonne: reçus ; logés, douchés, ils prennent un bon repas chaud. Disciplinés, ils ne sont pas porteurs de promesses de libération comme ceux du CJF 36 de la veille. Néanmoins la situation de ces jeunes me paraît délicate et les effectifs bien maigres. Je décide d’en référer au groupement et de passer mon dimanche à Gourdon, voir Poncet.

Berthémy et Vinay reviennent de Saint-Astier pour reprendre contact avec moi. Ils ont passé une convention de travail des jeunes avec les directeurs SNCASO et TP et ils amèneront à Saint-Astier, le premier contingent des nouveaux dès lundi. Il y a encore l’électricité à brancher à la cuisine et àla ferme là-bas, Bonnardel part dès aujourd’hui pour le faire.


Dimanche 16 janvier 1944.

Arrivée de Caldéron, parti à Toulouse pour récolter les jeunes des CJF 23 et 30. Le 23 n’était pas prêt et il convoiera les siens, lundi ou mardi. Le 30 a remis 22 jeunes à Caldéron. Mais 16 ont pris la fuite en route lorsqu’ils ont appris qu’on ne les libérerait pas comme cela leur avait été dit aux Chantiers avant leur départ !
Caldéron était débordé et excédé : huit seulement rejoignent, un arrivera lundi. Résultat pour moi : sur 126 attendus, 36 seulement sont là !


Lundi 17 janvier 1944.

Il y avait du travail d’ensemble à faire à la caserne : je mets tout l’effectif disponible, soit 19 jeunes de Chantiers (15 à la Société Bordelaise des TP et 4 à la Société d’Hygiène). Le travail est bon, le rendement aussi.

Un détachement de 10 part avec Welbacher pour Saint-Astier pour la préparation des cantonnements : un camion civil (car les nôtres ne sont toujours pas arrivés) fait 2 voyages (cuisine, ameublement etc).Lafforgue, le menuisier part aussi pour les ajustements sur place, monter la roulante et aménager le magasin à vivres. Vinay est là-bas, pour diriger tout, balisage du temps, les devis d’installation au cas où, etc. Seize jeunes sont à l’Ecole hippique de Champerret et je les fais récupérer par le chef d’équipe Lignon.

Le groupement se manifeste enfin, après un silence d’un mois pour nous faire savoir… qu’un stage de ski fonctionnera chaque semaine au Bez, pour une bonne détente pour deux des chefs désignés du Centre.

A 19 h, je réunis les gars des chantiers pour leur expliquer ce que l’on attend d’eux.


Mardi 18 janvier 1944.

Arrivée au centre, de Ballandras déjà avec nous de longue date à Saint-Pierre, excellent chef administratif, que j’affecte sans délai, comme responsable de l’Ordinaire et du Ravitaillement. Arrive aussi le chef Beaumont que je désigne pour la liaison avec le CJF 35 de La Bruguière dans le Tarn, où, en principe, 51 jeunes nous sont affectés.

L’installation se poursuit et se termine : je pourrai donc mettre les jeunes à la disposition de l’usine dès demain matin.

Visite de M. Lévrier, directeur du siège social de la SNCASO. Il précise la nécessité pour nous de déménager toute la caserne sur Saint-Astier avant le 15 février. Pour les jeunes, le logement se ferait dans des fermes et peut-être les bâtiments désaffectés des Alsaciens Lorrains (c’està voir). Pour les chefs dans des logements à trouver dans la ville. Mais le gros problème serait le repli du magasin d’habillement et de l’infirmerie. Il est évident que cela devrait rester en place à Périgueux, provisoirement, M. Lévrier en convient. Et bien sûr, il faudrait activer la construction du camp !

Cinq jeunes sur 16 annoncés arrivent du CJF de l’Ecole hippique de Champerret. Je ne comprends plus rien et tout va à vau l’eau.


Mercredi 19 janvier 1944.

A Saint-Astier, les dix jeunes sont assez bien installés, avec électricité dans la tente. Ils travaillent déjà à la carrière avec Berthémy en tête ! Outre les dix, il y a un muletier et son mulet, Vinay et Welbacher et Lafforgue, le moniteur électricien. Ils mangent tous à l’ordinaire, à midi à la cantine d’usine, dans leur créneau, le soir à la ferme.

Je vois M. Bos, le grand patron SNCASO pour les bâtiments des Alsaciens Lorrains : sans espoir et sans objet ! Il faut se rabattre sur les fermes, une pour les bureaux et une pour les chefs. Je vais voir le maire pour des réquisitions éventuelles de chambres chez les particuliers : il ne me laisseque peu d’espoir ! Quant au cap, le seul terrain possible est celui qui jouxte la ferme car celui des Brandes, déjà repéré il y a longtemps, est trop marécageux ! Vinay travaillera aux devis et au matériel nécessaire.

Les volontaires travaillent mollement, se sentent libérables, démoralisés par les promesses qui leur ont été faites, disent-ils, aux Chantiers avant leur départ. Il faut les secouer sans cesse et Beau s’y emploie comme il peut.

Et toujours pas de camion pourtant si nécessaire !


Jeudi 20 janvier 1944.

Je cherche des locaux pour le repli à Périgueux dumagasin et de l’infirmerie qui ne peuvent trouver de locaux à Saint Astier. Lemagasin pourrait rester dans la caserne : le capitaine a un bâtiment inoccupé. Pourl’infirmerie, le colonel médecin voit avec notre docteur un repli possible en ville.

Foin et paille seront fournis désormais uniquement par les services du ravitaillement militaire et je dois aller frapper àplusieurs portes pour avoir nos denrées à prendre en ville même et bottelées. Voir aussi l’Inspecteur du Travail pour avoir des rations « travailleurs de force ». Les gars de l’école Hippique arrivent avec Lignon : ils ne sont que 5. Mais d’un autre côté, Riss me téléphone pour libérer 5 autres CJF, classés « S ». La situation médicale réduit encore les effectifs de 12 jeunes à l’infirmerie ! Le couvre feu est institué pour le soir 20 heures !


Vendredi 21 janvier 1944.

Je réunis les chefs autour de Jeanvoine qui leur explique le fonctionnement de la petite structure culturelle qu’il a montée commeexpliqué plus haut. Un petit programme de réunions est défini, question d’accès à une bibliothèque pour les chefs comportant déjà… trois ouvrages ! De popote aussi et des problèmes pendants !

J’envisage de mettre les couleursà 8 h pour permettre la participation des jeunes qui travaillent à partir de 8 h 30. Pour le stage de ski au Bez, je désigne Joubert et Dischamps.

A Saint-Astier,Berthémy est capable d’accueillir le complément dejeunes dans la ferme de Malbaty. Un chef de groupe Tourretqui devait rejoindre refuse sa mutation. Je demande au Groupement de le mettre en congé sans solde !


Samedi 22 janvier 1944.

Le chef d’équipe Dordilly et cinq volontaires partent s’installer sur la coupe de bois de Tursac, au profit mixte de l’Intendance et de JM.

Les chefs partis au CJF de la Bruguière font savoir que 9 jeunes sur 55 prévus arriveront le lendemain soir ! Et encore un voyage vers Toulouse pour Jeanvoine et récupérer d’autres CJF, mais combien ?Une salle de gym nous est réservée : Caldeyron est chargé du programme et de l’animation.

Le camion tant attendu devrait arriver lundi : il devrait transporter les jeunes et leur matériel pour Saint-Astier, ceux des CJF 28, 30 et 23. A Périgueux resteraient les jeunes du CJF 35, de l’Ecole Hippique et de l’Ecole régionale de Toulouse.


Lundi 24 janvier 1944 (au centre, en mon absence).

Le camion n’arrive qu’à 13 h 30 et cela fait perdreune matinée aux gars de Beau partant à Saint-Astier. Caldeyron donne son premier cours d’éducation physique au gymnase : les chefs et quelques jeunes de l’équipe de service ! Joubert et Brondel, partent non pour Bez mais pour Serre-Chevalier : ils sont ravis !

Le centre reçoit une note de la Production Industrielle signalant l’arrivée prochaine des baraques pour le camp et le remplacement des Sarrad et Galtier. Et oui, mais aurai-je l’argent ? Et les camions nécessaires ? Il parait qu’un chèque a été viré pour cela du Groupement le 19 janvier !


Mardi 25 janvier 1944.

Malgré tous ces efforts, il n’y a que 20 jeunes opérationnels à Saint-Astier. Vinay s’active à curer le puits de la ferme, poser l’électricité, retaper les vitres, recrépir, reblanchir. Le mât des couleurs est dressé, le vent l’arrache !

A Périgueux, le travail avance, je nomme Caldéron responsable de tous les jeunes des chantiers encore là.


Mercredi 26 janvier 1944.

Un chef d’équipe, Gourde et un moniteur alpin Boyrie rejoignent. J’affecte Gourde à la coupe de bois de Nontron qui va être mise en route pour SNCASO et nous. Boyrie part en permission. Nous ne le reverrons jamais.

De Toulouse, Jeanvoine revient avec 9 volontaires sur 21 annoncés théoriquement ! Mais je reçois un avis du groupement de l’arrivée de 110 jeunes du centre d’Ancelle au Groupement Dauphiné, au départ de Gap, lundi prochain.


Jeudi 27 janvier 1944.

De retour, je vais à Saint-Astier : la ferme Malbaty prend tournure et pourra contenir les 30 jeunes (déjà à pied d’œuvre d’ailleurs). Berthémy a trouvé un vieux moulin à 100 mètres de l’usine où l’on peut avoir réfectoire et logement d’un groupe de 30 autres ! Avec l’eau pour tous les besoins ! On va réquisitionner une maison particulière appartenant à une certaine Mme Parant,usurière, dit-on, toujours en procès. Logement de chefs et infirmerie seraient possibles.

Curieusement, je constate que le moral des jeunes est excellent, la nourriture est bonne, et les veillées possibles et suivies malgré le travail ! Cette période rappelle les débuts de JM. Excellente impression d’ensemble, donc : travail, ordre, discipline !

Mais une circulaire nouvelle sur l’orientation de JM semble être arrivée au directeur de l’usine M. Bos. Elle changerait du tout au tout les conditions d’emploi de JM. M. Bos que je voudrais voir est absent, remis à demain !


De JM dissous le 31 janvier 1944 à la Production Industrielle !


Vendredi 28 janvier 1944.

M. Bos est là. J’ai une entrevue avec lui, mais cela n’avance à rien : il faut que j’attende les directives du groupement.

Nous nous accordons pour la coupe de bois de Nontron, le partage, les modalités de notre installation etc, et décision définitive pour lundi.

Un camion est prévu pour Saint-Astier. Beau vient s’en occuper avec moi à Périgueux. Ce sera pour demain, samedi. Je me mets en relation avec Gap pour demander un complément de matériel de cuisine et d’habillement pour les équipes qui arrivent d’Ancelle.

Comme si de rien était, le soir, réunion effective de tous les chefs présents pour écouter Lignon nous faire une causerie sur le « maréchal de Saint-Arnaud ».


Samedi 29 janvier 1944.

C’est l’arrivée de notes de la Direction de la Production Industrielle de Paris qui fait la une, ce samedi matin.

Ces notes nous sont adressées directement car nous sommes qualifiés de « Secteur bleu » ?

Elles fixent des modalités de fonctionnement administratif, mais quel vague pour nous, à la lecture ! Je doute que le Groupement, à Gourdon, soit averti et destinataire. Je me propose de le faire.

Pour le courant, les jeunes ont repos l’après midi de samedi. Ils se font transformer de tenue Chantiers en tenue JM. Et aux couleurs du soir que j’avance à 16 h 30 pour leur laisser quartier libre de deux heures, avant le couvre-feu de 19 h, je constate une bonne tenue et seulement quelques bérets encore verts Chantier.

Avec Beaumont, on fait comme si ! Et on prévoit pour lundi, une inspection dans les services : lundi matériel, mardi ordinaireet personnel.

Berthémy arrive de Saint-Astier pour son camion : il est en panne ! Par hasard ! Deux isolés des chantiers du Groupement 28 rejoignent et désertent deux heures plus tard !


Dimanche 30 janvier 1944.

L’agent Soyer du Groupement de JM à Gourdon arrive comme un cheveu sur la soupe. Il annonce des mesures bizarres : libérationadministrative des jeunes et passage sous administration Production Industrielle. Mais nous ne sommes pas un organe P.I. et les gars des Chantiers ne sont-ils pas déjà P.I. en venant chez nous ? Bon on verra bien !

En attendant, on loue un camion civil pour Berthémyqui repart ainsi à Saint-Astier.


Lundi 31 janvier 1944.

Nous continuons le travail ordinaire prévu et donc l’inspection du service du matériel, mise à jour des pièces comptables et vérification des existants, récapitulation des journées de travail. Tout va !

On vient me donner les dernières directives sur le camouflage des lumières dans la caserne. Berthémy, revenu pour son deuxièmechargement de camion, repart sans rien : remis à mercredi !

Dans l’après-midi, un télégramme officiel du groupement récapitule la situation nouvelle : dissolution des Chantiers et retrait desinsignes. JM passe sous la direction directe de la Production Industrielle, à Paris ! On dit que les Chantiers sont sous haute surveillance directe de la Wehrmacht (6). Et je termine ce journal par cette phrase importante :

« Chez nous, le moral se maintient. Nous le devons certainement à notre tradition. Aux couleurs, j’annonce calmement les décisions aux chefs et volontaires tous réunis pour cela. »


L’après 31 janvier 1944 : la « Production Industrielle ».


Nous voilà donc relevant de la Direction générale de la Production Industrielle, installée à Paris et dépendant du ministère de laProduction Industrielle et des Communications, à Vichy.

Et ce dès le 1er février 1944. Je recevrai mais beaucoup plus tard,plusieurs documents personnels officialisant cette position. Heureusement le statut légal individuel des chefs n’est pas modifié : nous restons dépendants de la « Jeunesse aérienne » à Vichy et toujours rémunérés par ce département.


Une « Instruction » du 7 juin 1944, (alors que nous sommes à la P.I. depuis le 1er février) précise des pourparlers de transfert encore en cours au 7 juin, entre les diverses administrations (trois sont citées dont la« Jeunesse et les Sports » pour nous, les chefs !). Le 7 juin, le lendemain du débarquement en Normandie ! Bon, on sera payé « par moyens provisoires en attendant la fin des pourparlers. »


Ensuite une note n° 1505/ PI de la section Régionale de Limoges, datée de Tulle, le 31 mai 1944, et relative à la dissolutiondes « unités bleues» et adressées aux chefs de détachement ex-JM et bien désormais P.I., nous, moi, « Périgueux ».


Six lignes pour me dire que « Je suis chargé de communiquer cette note à mon directeur d’entreprise… » et le dernier alinéa : « Ils (moi) jugeront de l’opportunité de mettre les jeunes au courant de lanouvelle marche des détachements à partir du 15 juin.» Fermez le ban ! Clair non ?!

La note est cependant importante car elle commence ainsi : « Par note etc etc la Commission Allemande d’Armistice de Wiesbaden a prescrit la dissolution des Chantiers de la Jeunesse et des Unités bleues à la date du 15 juin 1944 et a rejeté intégralement les propositions de création d’un nouveau Service du Travail Obligatoire préconisée par le ministre français du Travail. Et voici le sort officiel des jeunes travailleurs (les gars des Chantiers que nous avons en compte) : « […] Les Jeunes Travailleurs employés dans les entreprises […] appartenant à l’Etat […] ou à des particuliers demeureront à leur lieu de travailactuel, en qualité d’ouvriers libres soumis à la réquisition en vertu de la loi du 4 septembre 1942. […] employeur responsable de la cohésion des troupes, […] cantonnement […] rémunération […] ravitaillement. […] veiller […] pas de diminution du rendement ni surtout de départ illicite […] Les cadres […] en position de reclassement s’ils ne sont pas mis en position de mise à disposition des services de liquidation. […] stocks d’effets et équipements provenant des Chantiers et réservés pour les travailleurs libres […] seront gérés par les services de liquidation sous le contrôle de l’Organisation Todt […] les véhicules répartis entre service maintien de l’ordre français, la Wehrmacht et Todt. »

Conseils nous sont ensuite donnés pour: « examiner le sort de la libération des jeunes des Chantiers dits « requis » pour le 15 juin ! […] que les chefs pourraient être maintenus au titre de la cohésion souhaitée officiellement […] que nous entrions en relations avec les chefs d’entreprise pour traiter de tout cela […]. » Bref, débrouillez vous au mieux.



(6) C'est à partir de septembre 1943 que le général La Porte du Theil, devant de nouvelles exigences allemandes qui auraient équivalu à l'envoi en Allemagne de la quasi-totalité des effectifs restant des Chantiers, refuse catégoriquement toute mise à disposition supplémentaire au bénéfice de l'occupant (d'où les contrôles musclés de la part de la Wehrmacht). Mais il décline également les invitations de la Résistance à passer à la dissidence et à gagner Alger. Averti d'une arrestation imminente à la fin de décembre 1943, il refuse également de s'enfuir. Destitué, arrêté le 4 janvier 1944 à son bureau de Châtel Guyon, il est assigné à résidence en Allemagne jusqu'à la fin de la guerre.


De toute façon, rien n’avait été changé dans notre fonctionnement au profit de la SNCASO. Les installations sur place à Saint-Astier pouvaient absorber le logement et la vie des jeunes.

Le commandement JM par le groupement disparaissait officiellement mais l’Organe Liquidateur dans lequel le Groupement reversa la plupart de ses personnels continuait à fonctionner (aussi lentement que possible) en attendant la conclusion des fameuses tractations évoquées plus haut en datedu 7 juin. Tout le monde se hâtait lentement.


Le seul vrai problème pour nous était celui de l’échelon Périgueux et de la caserne.

Nous n’étions pas des militaires et l’installation dans la caserne avait fait l’objet de tractations entre SNCASO qui, nous l’avons vu, devait nous recevoir et l’Armée, en attendant de pouvoir vivre à Saint-Astier.

On avait vu l’insistance de M. Bos pour hâter la construction du camp ou la location de fermes.

En fin janvier, c’était possible de loger sur placeà Saint-Astier, tout l’effectif, fortement réduit d’ailleurs. Ne devaient rester à Périgueux que les magasins, approvisionnements, et infirmerie.


Puis sur des pièces personnelles des indications intéressantes.


Décision, à moi adressée (n° 952 P/SE) René Méjean détachement SNCASO St-Astier, me classant dans la 1ere catégorie avec le rang d’ « inspecteur », à compter du 1er avril 1944.


Puis sur ma carte d’identité délivrée par JM, on a simplement changé Saint-Pierre de Rumilly par Périgueux en surcharge et un tampon, apposé deux fois, précise : « MIS A LA DISPOSITION DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE ».


Par ailleurs, et très important, ma « Carte de Travail » du Service du Travail Obligatoire (STO) me situe en catégorie I le 13/08/1942 et précise « Dispensé», le suivant, du 8 septembre1943, mentionne « cadre des Chantiers maintenu au titre des 4%, Exempté de travailler en Allemagne (Article 5[…] », puis le 10 janvier 1944 « Sursis prolongé» jusqu’au 31/3/1944. […]


Je reçois aussi le 7/04/44, l’affectation à la P.I. comme cadre « Inspecteur SNCASO », tout ceci successivement tamponné, signé avec mention Contrôlé,bien apparente et le 17 mon « Certificat de travail» précisant que je suis dans l’entreprise SNCASO.

Il ne me reste aucun dossier du suivi des évènements à partir du 31 janvier 1944.


Nous avons effectivement abandonné la caserne et avons loué une vieille et petite bâtisse, très pauvre et délabrée, en sortie de la ville. C’était très vieillot, tout en bois, les planchers craquaient.

Nous n’avions aucun voisin direct. La maison avait un étage. C’était mon PC, le PC administratif du centre (les cinq agents des services pour tenir nos comptes d’administration et la vie des jeunes, tous à Saint-Astier, dont le fameux magasin installé là, dans ce PC vétuste).


Je logeais à l’hôtel de France. Les agents devaient aussi loger en ville. J’allais assez souvent à la SNCASO où les travaux n’avançaient pas vite, toute la vie économique se ralentissant avec la guerre à nos portes et les Allemands en posture difficile.


Des maquis s’étaient formés et agissaient, principalement FTP, actifs. Nous sommes restés là jusqu’en juillet ; de moins en moins actifs avec les évènements.

Nous dominions les voies ferrées de la gare de marchandise, là juste de l’autre côté de la rue et très précisément le quai d’embarquement. Le chargement se faisait en long, c’est à dire wagon par wagon, se chargeantl’un après l’autre avec des manœuvres importantes de mise en place et de retrait.


Les S.S. de la « Das Reich » et Oradour.

En juin, juste au moment des massacres de « terroristes » (Tulle, Oradour-sur-Glane, nombreuses villes et villages), un lourd élément de la division SS Das Reich dont les unités étaient réparties un peu partout dans le Sud-ouest de la France, est venu s’embarquer par voie ferrée, à la gare de Périgueux.


Nous pouvions voir sous nos yeux le lent processus de l’opération. Nous notions le nombre des chars embarqués. Je savais un des nôtres en liaison avec un réseau de résistance et il passait ces renseignements à ses correspondants. Même si d’autres en faisaient sûrement autant, notre position dominante et observation permanente recoupaient avec fiabilité ces derniers.


J’allais assez souvent à l’usine. Les jeunes attendaient le 15 juin. Ils sont restés en place et la perspective des difficultés de toute sorte les incitait à patienter et finalement tout marchait bien, le nombre et la qualité des chefs faisaient le reste. L’usine ne vit jamais le jour du début du travail. Un peu partout à partir de juin, tout trafic ferroviaire se faisant très aléatoire dans cette région isolée hors de grands axes.


Il y eut de nombreuses stations avec les chefs dans notre « camp » qui fonctionnait bien, en ce début d’été. Bien sûr, nous nous posions de nombreuses questions sur l’avenir immédiat, conscients de la vanité de cet effort de construction, dès lors que c’était un projet d’ordre allemand, bien mal placé à tous points de vue pour une utilisation « aéronautique » française, la paix prochaine revenue !


Mais c’étaient des surfaces revendables et le travail continuait.

Pour nous les chefs, aussi. Des contacts étaient pris par les uns ou les autres, sans trop de concertation. On savait qu’on serait contacté par JM « underground », le moment venu, selon les confidences du général Carayon venu en secret à Grenoble, en réunion très discrète de tous les chefs réunis pour cela en octobre 1943.


Epilogue

Mais aussi la mention du bombardement Américain de Francazal du 12 août, me rappelle surtout, que ce même août 1944, justement, vers le 20, je me suis rouvé incapable de rallier, à bicyclette, au départ de Périgueux (où je commandais un centre de Jeunesse et Montagne), l’Auvergne et la ½ Brigade d’Auvergne de l’O.R.A, commandée et montée par le chef du Centre Ecole de J. M., le comandant Robert Thollon, as de guerre aux neuf victoires aériennes en 39-40.

Sans adresse de destination, (au milieu des agitations des « libérations du Sud-Ouest » où les Allemands fuyaient comme des lapins), arrivé à Montauban, au ieu de remonter vers le Nord et l’Auvergne, j’ai préféré, « breaker » vers Francaza où j’avais depuis longtemps des contacts et, fin août, juste après le départ des Allemands, j’ai rallié la petite escadrille de D.520, que le célèbre Doret était entrain de monter, mais assortie de quelques Junkers 88 de la Luftwaffe, remis en parfait état de vol. Comme « bombardier », sur un de ces appareils, j’ai effectué plusieurs missions sur la poche de Royan avant que le groupement Patrie (B.26) ne vienne prendre la relève. C’était formidable pour moi, breveté observateur mais élève pilote non breveté. Des missions de guerre, (oh pas dangereuses, les Allemands n’avaient pas une bonne DCA sur Royan), mais missions de guerre sur appareil Allemand !!!.


Libération, craintes, attentes, nouveau destin !!!!
Juillet-Août 1944


C’est le mois des combats de libération, la plupart locaux en proportion des éléments de résistance sur place (troupes allemandes, gestapo et milice et autres services français de collaboration).


Le Sud-ouest sera le premier à décrocher, les troupes allemandes se regroupant en une armée hétéroclite de 18 000 hommes du général Elster, tentant de rejoindre le pays ; c’est ce contingent qui sera bloqué à Decize, en début septembre par Jeunesse et Montagne.


Concernant le Centre lui-même, on a vu les ordres, particulièrement incohérents, de la Production Industrielle. En fait, pour ma part je me sentais libre et j’en vins à décider de « liquider le centre », pour me libérer et rejoindre la CR 6 de Thollon de JM.

Pour cela il fallait bloquer les comptes (financier, de matériel) et régler les émoluments de ceux qui restaient encore sur place. On a vu que pour les chefs, les services centraux continuaient à payer les soldes. Le centre s’était vidé.

Beaucoup de jeunes chefs célibataires, des requis se cachaient ou avaient rejoint des maquis dont celui de JM. D’autres étaient rentrés chez eux. Aucun ordre ne pouvait être donné car nous n’avions pas délégation pour cela.


A Périgueux et Saint-Astier, restaient les éléments d’administration qui étaient souvent en famille et en attente. C’était en général des agents administratifs. A Périgueux dans notre petit PC, restaient Jassin, mon représentant, le chef, le chef de la cellule, Gobern, le comptable et un ou deux autres. Ils veillaient sur le PC et les stocks.

A Saint-Astier, tout travail en usine était impossible : il ne restait que Heintz, l’infirmier, et quelques gars ne pouvant rentrer chez eux.


Pour ma part, je savais que je devais rejoindre le maquis JM de Thollon, (la Compagnie Rapide n° 6 (CR 6), en Auvergne, dès mes responsabilités locales basculées. Ce fut mon objectif, nous le verrons. Mais je n’avais aucun contact ni adresse.


La situation se clarifia avec le débarquement allié du 15 août 1944 ! Lorsque la plupart des villes en France furent libérées en fin août, et qu’en début septembre !es unités allemandes encore en France sesoient rendues, les maquis n’eurent plus de raison de subsister. Il s’instauraune lente remise en forme des situations de chacun. La priorité pour le nouveau pouvoir était de continuer la guerre et donc de former des unités et des combattants.


Des maquis organisés furent rattachés à l’Armée de Lattre et terminèrent avec elle en mai 1945. Pour les aviateurs ce fut plus long et compliqué. L’armée de l’air se restructurera avec la création de groupes aériens de chasse ou de transport ! Quelques forces aériennes d’Afrique du Nord et d’Angleterre (France Libre) déjà au combat vinrent stationner en métropole.


Pour nous, innombrables élèves pilotes si longtemps protégés, ce furent les départs vers les centres aux Etats Unis qui fonctionnaient déjà depuis 1943 pour l’AFN après le débarquement de novembre 1942.

En attendant les ordres de départ, nous fûmes affectés à des encadrements de jeunes militaires pour les réouvertures des bases aériennes opérationnelles en France. Pour moi, comme pour les autres, ce processus prit du temps et occupa d’août à fin novembre, où la décision fut prise, ledépart effectif pour les USA étant le 15 janvier 1945.


La fin du centre à Saint Astier


En début juillet 44, tout tourne au ralenti, beaucoup de chefs sans activité ou d’eux-mêmes ont quitté Saint-Astier. Ne restent quedes cadres administratifs souvent en famille et c’est bien suffisant pour le travail qui continue, le peu de personnel requis, les Allemands étant toujours là !


Deux lettres des 16 juillet et du 22 août, d’écriture serrée, décrivent les événements.


Départ mardi 7 juillet, « au même train et arrivée à Toulouse à 15 h. […] arrêt car la ligne a été bombardée par les anglais à Montardier (dépôt d’essence). […] Je vois Tardy à l’AIA et quelques autres chefs.Je me renseigne sur le maquis JM que je devrais rejoindre. Ils en ont des nouvelles (« bien discipliné, bien commandé ») mais impossible de situer ! On verra bien ! »


Le 8, je repars pour Montauban, circulation rétablie ! J’arrive chez les cousins, ils me reçoivent si gentiment que je n’ai aucun scrupule à les solliciter surtout par les temps qui courent ! Pas de train de deux jours !


Enfin, vendredi 10, j’ai une place assise dans un car pour Agen ! Arrêts continuels par barrages allemands et partout des traces de bagarres : autos dans les fossés, train renversé dans les déblais, etc !

A Agen, plus aucun transport ! J’allais retourner à Montauban, lorsqu’un camion providentiel, chargé d’oignons à destination de Bordeaux me prend en charge avec une vingtaine d’autres personnes... Chargement branlant et hétéroclite. Sur la route on ne voit que cela : camions, autos, vélos, remorques, tout est chargé et surchargé de gens, de valises et de colis ! C’est vraiment le signe de l’époque ! Le camion marchait bien et à 17 h j’étais à Bordeaux et trouvais une chambre à l’hôtel, sans problème !


Samedi 11, j’étais à Périgueux à midi. Il venait d’y avoir alerte et en marchant, je tombe sur les Dupont, nos amis et loueurs de Montanceix ! Quel hasard, d’autant qu’ils m’invitent donc chez eux ! Puisque je revenais pour y récupérer des affaires laissées en arrière !

L’après-midi je vais chez Tourret, un des administratifs, resté, en charge de liquidation : je lui remets le texte de certification de cette liquidation et le soir je m’installe chez les Dupont à Montanceix et occupe la chambre au-dessous de la nôtre d’avant : notre ancien appartement a été louéaux Ballandras, (mon ancien bras droit de service général), qui avaient pris soin de rassembler tous nos reliquats dans un petit local, en ordre !


Lundi 14, j’étais à l’usine. Tous travaux arrêtés, les Allemands toujours là mais fébriles, sur le départ disait-on ! Mais ça ne bougeait pas ! J’ai revu le directeur Mr Bos installé en permanence, puis les cadres encore là : Heintz, Coquet et divers jeunes qui ne pouvaient partir ! J’ai mangé avec eux à l’hôtel de France.

L’après-midi, bagarres : un noyé. On est venu chercher Heintz, l’infirmier, mais le gars est mort.

Je retourne à Montanceix et m’occupe de tout ce que nous avions laissé, en partant avec le minimum. Les Dupont sont d’accord pour tout garder du reste. Je fais donc deux valises et un sac de l’ensemble (nappes, chapeaux, souliers etc) J’avais fixé au 15, mon départ pour Périgueux où il reste encore Jassin et Gobern et le vieil immeuble ne servant plus que de stockage (magasin et archives) ! Le 14 dans la nuit, à Montanceix, incendie. Nous y courons avec Dupont, rien, feu éteint à notre arrivée !


Le mardi 15 au matin, des coups de feu retentissent pas loin, on ne sait avec les maquis et les Allemands fébriles encore là. Je pars pour Périgueux en vélo, sans autre solution ! Arrivé à 11 h, invité au repas chez les Jassin, le chef liquidateur, avec les Dereste, en attendant, je vais voir Tourret et Gobern.


Nous apprenons là le débarquement en Provence.

J’écris : « Cela change mes plans et ce n’est pas la peine que j’aille à Calvisson au passage car aucun moyen de transport ne doit circuler et la vallée du Rhône neutralisée. Il faut que je rejoigne le maquis de Thollon de Jeunesse et Montagne mais directement par le Cantal où il se trouve, on ne sait où exactement ».

Donc itinéraire : Montauban, Figeac, Aurillac ! Au repas, je donne le plan de marche à Jassin que je pousse à prendre avec moi, avec quelques autres chefs en attente, pour un départ le 17 ! Le soir, je couche à Périgueux à l’hôtel de France : des tirs nourris retentissent de l’autre côté de l’Isle, vers Toulouse et Marsac !


Le mercredi 16, je retourne à Saint-Astier où le directeur de la SNCASO, m’apprend le départ des Allemands la nuit prochaine même. Ils veulent faire sauter l’usine et sont en train de mettre les explosifs ! Ne voulant pas être coincé de ce fait avec risque d’un coup de main du maquis après le départ des Allemands, je décide de partir le soir même, par le train de Bordeaux de 16 h !

Re-façonnage des bagages, je ne prends qu’un sac etune petite valise et le vélo, indispensable, laissant le reste aux bons soins des Dupont.


Le jeudi 17, je suis à Bordeaux à 6 h du matin, après un très long arrêt à Coutras où, de 11 h à 4 h du matin, un accordéoniste a meublé le temps en faisant danser des voyageurs, nombreux et enthousiastes, s’accommodant parfaitement des aléas des voyages de ce temps !

A Bordeaux, je retrouve mes gars, mais pas Jassin : il est marié, c’est un ancien sous-officier administratif, je pense qu’il n’a pas envie de s’exposer de lui-même !

Finalement, rien n’étant trop préparé de notre voyage à partir de Montauban, je décide de partir en tête, et là avec l’aide d’Ernest de voir la suite, de les appeler à me rejoindre dès la préparation achevée.


Le soir du jeudi 17, le train de 22 heures avec terminus à Marmande, en raison de l’état de la ligne au-delà, ne partira que le lendemain matin. Hôtel, donc ! On sentait les Allemands fébriles, disait-on mais Bordeaux est grand et cela ne se sentait pas trop, on savait seulement qu’ils brulaient leurs archives réquisitionnaient des camions et se sentaient prêts au départ !


Le lendemain, vendredi 18, le train fonctionne mais s'arrête à 7 km de Marmande et n’ira pas plus loin.

Je ne compte plus que sur le vélo pour les 75 km qui me sépare d’Agen. Repas chez un bistrot du coin à sainte Bazeilles !

13 heures vent debout par une belle chaleur, départ direction Agen Montauban ! Pas de problèmes, quelques barrages sans ennui, même pour ce gars en genre d’uniforme de maquis, mais les papiers lèvent le doute des contrôleurs aux barrages !

A Tonneins, on m’apprend le départ de la milice et par ci par là, au fur et à mesure de la route, le départ imminent des Allemands en garnison ici ou là. Mais aucun accrochage, seulement un espoir !

Arrivée à Agen vers 18 h, je trouve une chambre, prend le repas. Dans les environs de l’hôtel, une grande structure cheminote: près de 500 cheminots allemands, en bleu, occupés à préparer leurs bagages et prêts à embarquer, en camion.

A 22 heures plus un seul allemand et en ville dans les rues, me dit-on, plus de patrouilles.

Impression bizarre, beaucoup de monde surpris, heureux mais ne faisant aucun extra par prudence, pas de maquisards ! Si inattendu et si rapide que tout reste calme et silencieux ! Encore.

Je vais me coucher réveillé par trois fortes explosions sur les voies. Il faut dire que depuis le 15 août, la voie avait sauté en 22 points entre Agen et Toulouse ! Départ le lendemain matin samedi 19, tôt ! Gris, pluvieux légèrement. En arrivant à Castel Sarrazin, comme un long bombardement ! C’était un dépôt de munitions qui sautait, pas loin de Toulouse !


J’appris qu’à Montauban, tout sautait aussi, les Allemands en train de partir ce jour ! J’hésitais donc à entrer en ville et comme il était midi, je m’arrêtais à Lavilledieu, 10 km avant Montauban !

Un gars en arrivant tout juste, à l’instant, me dit que tout était fini, les Allemands partis et plus aucun barrage.

Je partis donc, et vers 14 h, j’entrais tout seul, allemands partis, pas de maquisards excités encore. Les gens sortaient prudemment. Un train brulait, quelques voitures aussi, le central téléphonique avait été dynamité !! Ville libérée d’elle-même !

C’était tout et l’on passait ainsi en silence, sousle nouveau régime tant espéré, mais pour la minute si serein et sans aucun bruit !


Puis tout changea : drapeaux sortis partout jusqu’aux toits ! Gens par centaines. Le maquis arriva pour attaquer quelques « Mongols », troupes farouches d’auxiliaires allemands, redoutés, abandonnés par les troupes régulières allemandes et retranchés dans leur caserne. Pétarade toute la soirée, mais aussi en ville : 15 morts tout de même parmi des attaquants si peu expérimentés ! Le maquis de Nègrepelisse attaqua la caserne par derrière et enfin plus aucun tir. Montauban était libéré.


Pourquoi ce jour, juste au moment où j’arrivais avec mon vélo, perdu dans cette foule ! Evidemment une grande pagaille entre partis armés sans cohésion, pas de chef reconnu à l’avance. Mais la libération est là.

Il en était ainsi aussi, à Toulouse, libéré le même jour. En moi-même, je décide de ne pas continuer vers le Cantal où j’arriverais trop tard et d’aller à Toulouse où j’avais des connaissances !


Et j’écris : « Hélas, bien souvent pas de tête pour diriger surle champ. Et tant de divergences accumulées, tant de haine même. La guerre civile est à craindre ! En fait, arrestations sur arrestations auront lieu jusqu’à dimanche ! Les FFI étaient là en force, vengeurs et aucun commandement civil ou du moins pas de gouvernement de la ville en place ! Enfin, cela va mieux : les ordres et l’ordre reviennent. C’est fini pour ici, la vie reprend ses droits. Je suis accueilli avec stupeur mais les bras et cœur ouverts par les Ernest. Lui jubile car enfin il peut travailler sans livrer aux Allemands. Sans être l’abondance il pense que le ravitaillement va grossir sensiblement.

Tu as dû apprendre la libération de dix ou quinze départements déjà ! Ca va très vite et il faut s’en réjouir. J’espère que le Gard sera épargné. Il ne faudrait pas que le Gard soit un cul de sac où les Allemands se retrancheraient. Mais ils n’en ont plus la force et ils savent que c’est la fin ! Il y a, semble-t-il, plus de force et de discipline, plus de sévérité dans la répression des fautes !

Je suis heureux, si heureux, de sentir l’air libre, plus d’Allemands, plus d’occupation cette liberté c’est merveilleux et après quatre ans d’occupation ! Hélas, il reste encore une grande partie de la France qui souffre et attend. Mais on est sur la bonne voie. Et je crois qu’à ‘allure où vont les alliés toute la France sera libérée d’ici fin septembre. »


Quel avenir immédiat ? Toulouse

Pour moi, le problème se pose de nouveau.

Que faire ? On me reversera surement à l‘aviation pour enfin faire le pilotage car on aura besoin de nous pour l’avenir, rien n’a été construit de solide pour une armée de l’Air digne de son nom ! Voilà je vais partir pour Toulouse et demander au bureau militaire de Montauban d’assurer mon transfert par route, plus aucun train ne circulant sur des voies complètement anéanties par les bombardements !

Je n’ai pas de document concernant l’arrivée à Toulouse où restaient quelques JM de l’AIA de Blagnac sur l’aérodrome lui-même. J’avais du partir de Montauban, le 24 août. Je n’étais plus rien que lieutenant de l’Armée de l’Air !


Il fallait donc que je me fasse recenser en me situant.

Je le fis à la caserne Pérignon, en haut de ville où il y avait toujours eu un élément air d’armistice, avec un colonel Pélissié que je retrouverai plus tard.

Ce dernier, chasseur, saint-cyrien, connaissait bien Thollon et savait mon implantation à Saint-Astier. Dès que possible, versla fin 1943, il entra dans un double jeu, très discrètement, bien sûr. Ce qui luivalut, à la libération de Toulouse, avec les généraux de Vichy, tels que nous les verrons impliqués dans la résistance, de solides atouts pour la suite.

Au cours de l’entrevue, le lieutenant-colonel me dit de compter sur lui pour une affectation à Toulouse, avant que les décisions d’Etat-major soient prises dans la réorganisation de l’après libération et de la poursuite de la guerre. Il me mit en permission en attendant les ordres, ne serait-ce que pour me trouver en uniforme militaire !


A Blagnac, j’avais repéré qu’un grand de la célèbre Aéropostale de Mermoz, Saint-Ex et autres, Marcel Doret préparait à Francazal et Blagnac la mise sur pied d’une escadrille FFI de chasse (7) et bombardement avec les nombreux Dewoitine 520 dont la maison-mère était à Blagnac encore stockés, bloqués par les Allemands. Et il y avait un stock de Junkers 88 « Superstukas » de bombardement non détruits. Doret avait réuni d’anciens navigant scivils de Toulouse.


Je m’inscrivis pour être bombardier sur Ju 88 une fois l’escadrille en état, mais il fallait bien quelque temps pour cela, en particulier pour apprendre chasse et bombardement à des navigants civils sans avion depuis quatre ans.


Le jeudi 7 septembre, une courte lettre raconte : « Je t’ai quittée samedi 2 et je suis à Toulouse depuis deux jours. »


Retour à Toulouse
De Gaulle le jour de mon retour à Toulouse

Je raconte la visite de de Gaulle, le 15 septembre !

Je témoigne : « J’ai passé une heure avec la grande foule qui se pressait place du Capitole, partout jusqu’aux toitures. Moi j’étais avec les officiers sans troupe à la porte du palais du Capitole, en haut dans l’immense grand salon du balcon duquel il prononça son discours. La région de Toulouse est aubord de la sécession et Périgueux avec la toute- puissance des communistes et FTP, m’avait fait redouter en effet ces risques d’affrontement intérieurs. Sur la place, de Gaulle a passé les troupes FFI en revue puis, après montée au grand salon, il a prononcé son grand discours, centré prioritairement sur un appel vibrant à l’union. Puis il est reparti. Oui, il faut le soutenir. Et dans la conduite de la suite des opérations, se montrer parfaitement unis ! » Les risques sont si grands avec les communistes ou l'anarchie. »


Lettre du 29 septembre de quatre grandes pages

Je raconte ce que je fais à Toulouse, dans ma nouvelle affectation de chef de section dans une compagnie d’instruction de futurs engagés pour la durée de la guerre ! Ce qui n’a aucun intérêt car j’ai l’air d’être hors moi-même. « Journées remplies pas tellement par le travail de commandant de section que des allers retours en tramway, très lents, caserne (en haut de Toulouse) -hôtel à l'autre bout de la ville […] chambre que je n’aime pas sans air […] travail régulier : arrivée, montée des couleurs, matinée occupée à l’instruction de nos engagés, […] repas mess avec les copains commandants de section comme moi, Peyret et Daupeyroux si sympas tous les deux. […] Reprise d’instruction jusqu’à 17 h 30 »



(7) Le groupe FFI du commandant Doret, donnera naissance au GC III/18, créé le 1er janvier 1945, à Francazal sous le commandement de Robert Thollon. Ce groupe doté de Dewoitine 520 n’opérera qu’à partir du 1er janvier 1945. A Francazal, l’entraînement des deuxescadrilles dont l’une commandée par le capitaine Testot-Ferry, ami de Henri Combier, un des premiers chefs de centre de Jeunesse et Montagne à Beaufort sur Doron. Le groupe intervient en appuides raids de Bombardement sur la poche de Royan. Le groupe fera mouvement sur Cognac puis Bordeaux. La poche occupée sans interruption depuis juin 1944 par les Allemands ne sera réduite que le 15 avril 1945 après avoir été détruite à 100% (bombardements massifs anglais, utilisation massive du napalm). Le groupement « Patrie », GB Béarn renforcé y sera affecté avec le GC Saintonges de Thollon et le GB 1/31 Aunis sur Ju 88...


Pensées et événements

Bien sûr, je suis agité par tant de questions :


D’abord cette constatation : « Comme je suis loin de mon commandement de JM, avec toutes les initiatives que j’avais à prendre, pour soutenir et faire vivre, par la présence et l’action, non seulement les jeunes, mais aussi l’équipe des chefs sous mes ordres tandis qu’ici, je suis juste à ma place, celle du lieutenant, tout le reste est affaire d’au-dessus, réglé, organisé ! »


Et puis l’entrevue couperet.

Un soir, réunion des officiers navigants en poste à Toulouse pour l’avenir immédiat. Le colonel Pelletier d’Oisy, une figure de l’Aviation, vient du ministère nous informer que nous sommes repris en charge définitive de l’Armée de l’Air, après examen des situations des années 40 à 44.

« Il a pris chacun, à part, et l’a informé de sa situation personnelle suivant le degré d’avancement en instruction aérienne passée. Pour moi, comme pour tous ceux de nos promotions restés en métropole, ce sera le stage aux USA pour reprendre toute l’instruction de brevet de pilote. »

C’était évident pour moi : enfin on revolait, mais en contrepartie une année de séparation. De toutes façons, la guerre n’était pas terminée et nous devions obéir, nous n’avions aucun choix autre. C’est la mobilisation nouvelle pour participer –enfin- à la guerre avec les Alliés.


J’écris difficilement mais pas dupe de ce qu’il fallait dire :

« Il faut donc se faire une raison, d’ici la fin de la guerre (Churchill estime mi- 1945) et accepter d’ordre supérieur cette séparation : c’est notre devoir, la France a besoin encore de nous et je dois partir. D’ailleurs la perspective personnelle est loin d’être terrifiante, au contraire : formation de pilote remarquable dans les meilleures conditions techniques, l’essor de ma carrière telle que je la souhaitais depuis 39 et l’arrivée à Cyr ! L’ombre très noire est la séparation, la longue séparation que nous devons aborder en nous confiant à la force de notre passé ! »

Dans sa réponse, l’approche est la même : on n’a pas le choix, restons fidèles. Moi aussi j’ai ma mission de mère et d’épouse, je la remplirai en t’attendant !


Octobre et novembre 44

Ces deux mois seront hors norme.

Ce sera très vite la fin de la mission d’instruction, mais aussi la perspective à gérer du départ en Amérique. Mais le sel de ce mois rétréci sera la série de missions de guerre à l’escadrille FFI de Marcel Doret.

Le départ de Calvisson le 24, Marseille, Alger, Casablanca et l’embarquement le 15 janvier 45 sur Liberty Ship.

Trois lettres de moi et deux de Calvisson et ce sera tout. Celles de Paulette sont évidemment très occupées par la description des faits et gestes du bonhomme Denis et je me rends compte que cette présence et les responsabilités maternelles engagées seront un contre poids dans l’attente de notre revoir !


Curieusement, je raconte avoir rencontré dans le train me ramenant à Toulouse un copain (ancien école de l’air 1937, cadre à JM au Centre-Ecole et participant à l’épopée de la formation militaire de Thollon, celle où je devais aller mais que les circonstances n’ont pas permis de réaliser. Et il m’a détaillé tous les combats de cette « demi-brigade d’Auvergne de l’ORA (8). »


Junkers 88

La lettre du vendredi 3 novembre raconte une longue marche avec les jeunes qui sont en veille sanitaire de piqûres ce 3 novembre. J’explique donc aller au terrain à Blagnac avec le capitaine Chapat !

Je précise : « Tu sais, à l’arrivée on nous attendait, prêt pour un vol d’accoutumance, pour moi avec le commandant Doret. J’ai ainsi fait mon premier vol depuis le 15 mai 1940 (sauf stage vol à voile de juin 1942). A nouveau, ont résonné à mes oreilles les bruits familiers et indélébiles des moteurs d’avion et le plus fort des avions allemands. »


J’avais suivi quelques cours sur ma fonction de bombardier que l’on me confiait en place copilote. C’était simple, car c’était le pilote, le commandant Doret lui-même, qui avait préparé la mission et avait la possibilité de larguer les bombes, le copilote bombardier que j’étais n’étant dans ces missions agissant sans grande précision qu’une aide auxiliaire. Les deux bombes de 1000 kg sous les ailes étaient en place et devaient être larguées sur la forteresse de la pointe de Grave (9) et le Verdon que tenaient les Allemands au titre de cette poche de Royan qu’ils ont tenue longtemps après l’évacuation de la France, en fin d’été 1944. Le Ju 88 pouvait atteindre la vitesse maximale e 512 km/h.


Je poursuivais :

« Sur avion allemand, chargé de bombes de 1000 kg devant être larguées sur la Pointe de Grave sur les boches. Hélas, au moment du décollage, la roulette de queue a éclaté et il a fallu la changer : nous n’étions plus dans le créneau horaire de la mission combinée avec la chasse et d’autres bombardiers. Après réparation, nous avons eu le temps de faire un vol local, quelques virages, quelques piqués, quelques passages en rase-mottes sur les terrains de Francazal et de Blagnac. A nouveau les maisons vues d’en haut, petits cubes bien propres, bien alignés, toute la ville sous nos ailes et la Garonne et les arbres en bouquets teintés tout de rouge et de rouille de la saison et du soleil couchant ! Cela fait tout de même plaisir de voler à nouveau



Et j’espère pouvoir continuer. La semaine prochaine, je serai à Blagnac, installé pour des épreuves des jeunes avant leur fin de formation, pendant une quinzaine de jours. Donc, autorisé et à même de continuer les missions avec Doret car il y a une forte demande de frappes, en attendant, paraît-il un groupe de bombardement B26 Maraudeurs venant d’AFN pour ces mêmes opérations de harcèlement des Allemands dans la « poche de Royan. Et de venir en week-end à Calvisson le 12, comme je le prévois ! »




(8) Pour le détail, tout cela est décrit avec précision dans les documents sur JM...
(9) Voir l’encadré ci-dessous

Histoire de la poche de Royan

Après l’armistice, Royan se trouve en zone occupée. La 44e division installe la Kommandantur à Foncillon, et la Kriegsmarine dans l'ancien hôtel du golf...

Ordre donné par la municipalité invitant « la population de Royan, ville ouverte, à observer la correction la plus absolue dans l'intérêt général (...) et accomplir son devoir avec calme et dignité ». Les premiers actes de sabotage ne tardent pas : lignes téléphoniques, vitrine du local du « Rassemblement anticommuniste », de Marcel Déat brisée, sentinelle de la Kriegsmarine assassinée. L'amiral Von de la Ferrière, décide de frapper la ville d'une amende de 3 millions de francs et dix membres du conseil municipal sont pris en otage. Peu après, les plages sont interdites. La Résistance s'organise. Les premiers réseaux se regroupent.

En 1942, les deux forteresses allemandes de "Gironde Mündung Nord" (Royan et sa proche région) et "Gironde Mündung Süd" (pointe de Grave), de part et d'autre de l'estuaire de la Gironde sont érigées par l'organisation Todt employant des jeunes STO. Ces forteresses de Royan-Grave formaient ainsi un verrou stratégique protégeant notamment Bordeaux.

Entre 1943 et 1944, la cité est également renforcéepour prévenir une éventuelle attaque terrestre. Des batteries de V4 sont installées aux abords de la cité, à Belmont, Vaux, Jaffe. Ainsi, pendant l’été 1944, se constitue la « poche de Royan » qui abrite environ 5 000 soldats allemands. Le 12 septembre 1944 la prise de Rochefort enferme encore un peu plus les Allemands : c'est le signal du début du long siège de la ville.

Le 4 octobre, les Alliés sont à Médis. Une entrevue a lieu dans le but d'obtenir l'évacuation des civils. Une majorité de la population quitte la ville peu après, cependant, environ 2000 civils choisissent de demeurer dans la forteresse assiégée. À Royan, l'occupant pille banques et villas désertées : le 31 décembre 1944, un navire à vapeur espagnol, le "Vulcano", quitte Royan avec le butin dans ses cales.

Le 5 janvier 1945, 354 bombardiers Lancaster de la RAF déversent en deux vagues, de 20 puis 30 minutes une pluie de plus de 2 173 tonnes de bombes sur le cœur de la ville, la gare à Foncillon, presque entièrement détruits, port inutilisable, plages déchiquetées. 85 % du centre-ville disparaît, 442 Royannais et 35 Allemands trouvent la mort et environ un millier de blessés. Sept avions alliés sont abattus pendant le raid.

Le vendredi 13 avril 1945, le général de Larminat donne le signal de l'assaut final.

Les 14 et 15 avril 1945, des bombardiers B-17 Flying Fortress et B-24 Liberator de l'USAAF couvrent de nouveau la ville de bombes. C'est au cours des raids sur Royan que le napalm fut expérimenté pour la première fois de façon massive : environ 725 000 litres déversés sur la ville.

Le 17 avril, les premiers chars Sherman M4 du bataillon Foch pénètrent dans les ruines fumantes de Royan. Le contre-amiral Michaelles consent à se rendre, aux environs de midi.


Les missions sur JU 88 (10) allemands

Ce sera une étonnante affaire


Oui je suis revenu à Blagnac tous les jours, comme annoncé, avec le tram de 7 h et ¾ d’heure de temps de voyage. Je n‘ai pu me décrocher des examens à faire passer à nos jeunes et donc pas de vol avec Doret. D’ailleurs ma lettre mentionne un beau mal de gorge, de la fatigue et un traitement à suivre.


Voilà la dernière lettre de cette période curieuse, un mercredi 8 novembre au soir et puis plus de correspondance avant le 28 de Marseille. Pour les USA et le brevet de pilote. Donc rien d’écrit sur ces 20 jours. Seulement des souvenirs.


Et quels souvenirs !

En fait, dès le jeudi 9, libre, j’ai donc rejoint le groupe Doret et le temps étant au beau et les avions Ju 88 et Dewoitine 520 de chasse, disponibles, j’ai participé du jeudi au samedi à la vie très soutenue du groupe à cette époque. Effectuant une ou deux missions par jour, mon total étant de six missions.


Le vol était assez court. La Pointe de Grave est à 300 km de Toulouse et le Ju 88 croise à 350 km/h de vitesse : une petite heure donc pour larguer les deux bombes en vol horizontal et retour, cela faisait des missions autour de 2 h 30 maxi. Les chasseurs du groupe nous accompagnaient. Les allemands ne disposaient d’aucune aviation de chasse, seulement protégés par une DCA encore puissante et active. Les chasseurs straffaient en rase-mottes pendant notre « run » de mise en direction et de visée. Nous avons souvent ressenti les soubresauts de l‘avion, dus à un éclatement proche mais sans aucun dégât.



Le «Ju 88 » Superstuka, bimoteur, 2 bombes de 1000 kg

Ce fut une période de trois jours exaltants mais rudes en fatigue et tension. Je n’avais aucun camarade proche au groupeDoret et ne revis personne par la suite, connaissant à peine quelques gars côtoyés.

Nos compagnies d’instruction étaient dissoutes et les copains de trois mois de travail commun rejoignant d’autres affectations même pas revus ni salués. Je n’avais pas de raison ni de temps pour écrire et je ne voulais pas mettre ma famille au courant de ces vols de guerre dangereux. Je me réservais d’en parler après, risques évanouis.



(10) Conçu en Allemagne en 1935, bombardier moyen et rapide, le Junkers Ju 88 fut l'appareil le plus polyvalent de la Luftwaffe (bombardement horizontal, en piqué, et le torpillage) et probablement de toute l'histoire de l'aviation. Entré en service dans la Luftwaffe en 1939, le Ju 88A est à voilure médiane de construction entièrement métallique, rapide, maniable et apprécié des équipages. Utilisé de manière intensive au-dessus de la France, de la Belgique, de l'Angleterre, des Balkans, de la Méditerranée et de l'Union Soviétique.


Je n’ai non plus aucun écrit officiel sur ces missions. En effet, je n’étais pas affecté au groupe Doret mais à ma compagnie de l’Air de Pérignon. C’était un peu le folklore.


Le dimanche 12 (11), pas de vol et j’étais redescendu à Toulouse-villeà mon hôtel. J’appris là, qu’on m’autorisait à rentrer chez nous. Le départ pour l’AFN et le stage USAF étant fixé au 22 novembre, jour prévu pour être à Marseille pour embarquer vers Alger. Nous étions le 12, j’avais à peine dix jours et je quittai Toulouse, dès le lundi en emmenant mes bagages, sans esprit de retour.


Je ne revis donc pas Blagnac ni Doret. Je lui écrivis un mot par la suite. Mais je n’eus jamais communication des documents officiels de vol à noter sur mes carnets et je n’avais noté que sommairement mes missions et heures de vol. Je remettais cela à plus tard. Et en fait je n’eus plus jamais l’opportunité de mettre au clair et à l’officiel ces heures de vol pourtant siimportantes pour moi puisque j’avais pu enfin participer à des missions de guerre ; saufpour le vol du 3 novembre pour lequel j’avais eu un papier du groupe Doret.


Je gardai évidemment une fierté et une émotion particulière d’avoir pu enfin, briser cet état d’élève-pilote qui, si longtemps m’a tenu lieu de spécialité et de chef incapable de prendre part à la guerre. Je me sentis lavé de cet opprobre, mais je pouvais garder cela pour moi, m’engageant à partager, plus tard, avec celle pour qui je n’avais pas de secret et à qui tout dire était un bonheur. En fait le séjour à Calvisson fut très occupé et la discussion s’arrêta avec la simple évocation des missions. Paulette ne pouvait comprendre très bien mes états d’âme relatifs à mon engagement d’officier !


Le plus curieux : le groupe FFI de D 520, du commandant Doret fut transféré le 1er janvier 1945 en GC III/18 Saintonge, commandé par... Robert Thollon, notre ami patron du centre école de JM et héros de la division Auvergne avec les gars de JM, cette unité que je n’avais pu rejoindre faute de renseignement et de contact manqué, me dirigeant sur Toulouse et justement vers ce groupe Doret.

Et le groupe de Ju 88 transformé en GB 1/31 « Aunis» dès décembre 1944. Sous les ordres du commandant Dor, qui était l’adjoint de Marcel Doret.

Quelle histoire ! Le plus étonnant aussi, est que je sois en possession du « Journal des marches et opérations » réglementaire de ce groupe qui combattit sur la poche en stationnant successivement à Cognac puis Bordeaux jusqu’au 15 avril 45 et la chute de la poche de Royan ce jour-là, le groupe ralliant alors le front allemand sans participer arrivant quelques jours à peine avant le 8 mai 1945 et la fin de la guerre.


Général René Méjean (août 2012)

 
 


(11) La lettre de Calvisson, écrite le même 12 novembre m’apprend la déception de tous « Denis s’était fait tout beau pour attendre son papa », croyant à mon arrivée le 12.