Rapport sur les activités du Groupe de l'Enclus
depuis le 9 mai 1941 date de son installation en Dévoluy

 

I - Découverte


    Sous la conduite du chef Matussière le 9 mai 1941 le détachement précurseur arriva à l'Enclus. Ce hameau est situé au fin fond de la cuvette que ferme à l'est la montagne de la Plane, au sud le Pic de Bure, et à l'ouest le plateau d'Aurouze.

    Près du torrent de la Souloise, à proximité d'une magnifique forêt qui donne encore plus de caractère au pays, c'est le site le plus agréable de tout le Dévoluy. Tel est le cadre où depuis six mois, au détriment des activités alpines, nos principales occupations furent : cultiver et construire.

    >Construire fut une nécessité vitale, car dans tout le hameau, seule une pièce fut trouvée pour la cuisine et deux réduits pour l'atelier et le magasin à vivres. Pour le logement il n'y avait absolument rien.

    La première difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés fut de trouver des terrains. Le pays est pauvre, tout terrain plat est cultivé, et 1e paysan ne veut rien céder à long terme.

    Pour le cantonnement provisoire, nous avons obtenu une parcelle à flanc de coteau pour installer une barraque 31 et 2 tentes A.A.. Des terrassements volumineux furent nécessaires.


La cheminée


La cheminée (bis)


Les pionniers de l'Enclus


Les ruines à notre arrivée

    Pour le terrain à bâtir, le problème fut encore plus compliqué. Après des difficultés sans nom, pendant lesquelles longues journées de juin passèrent sans que l'on puisse démarrer, nous eûmes finalement l'autorisation de construire sur une ruine,et sur un petit terrain en bordure de la Souloise.

    Le 2 juillet, le piquetage sur ce petit terrain fut fait, tandis que le pic résonnait sur la ruine.

    Depuis ce jour, 15 volontaires en moyenne ont travaillé sur ces deux chantiers, en ajoutant les hommes nécessaires aux autres servitudes, les malades et les permissionnaires, on voit que la totalité des effectifs était bien occupée.

    Les travaux furent pénibles dans l'ensemble, mais variés. Ce fut d'abord la démolition de la ruine, ce qui a eu l'avantage de nous fournir des pierres toutes taillées pour la future maçonnerie, mais en contrepartie nous donnait un véritable travail de romains.

    Il nous fallait abattre des pans de murs entiers, l'un d'entre eux était surmonté d'une cheminée à plus de dix mètres. Une autre partie était encore voûtée, zone dangereuse car susceptible de s'effondrer sans que l'on puisse le prévoir. Enfin, déblaiement de tous ces décombres par tombereaux et brouettes...

II - Les travaux avancent... lentement

Pose de la 1ere pierre

    Quarante jours furent nécessaires pour dégager l'emplacement des futures fondations. Deux sources furent mises à jour, ce qui compliqua singulièrement les travaux. Mais par la suite, elles nous procurèrent l'eau courante à la cuisine de ce chalet.

    Pendant ce temps, la première construction avait démarré. Les tranchées des fondations furent creusées en deux jours, le coulage du béton nous prit du temps, car nous fûmes obligés de ramasser à la main, les deux cents brouettes des graviers nécessaires. Les fondations furent achevées entre le 18 et le 24 juillet.

    En attendant l'arrivée problématique des maçons, nos efforts se portèrent sur la ruine et le transport du sable. Le sable était pris dans le Buech, près de la Roche des Arnaud à 30 kilomètres du Dévoluy. Un camp volant de 10 hommes pris dans les divers groupes en assurait ramassage et tamisage.

    La malchance pour nous avait voulu qu'un pont, situé à 800 mètres de nos chantiers, soit trop faible pour supporter le poids du camion Saurer qui assurait le transport. Aussi, est ce grâce à un tombereau emprunté et deux de nos mulets que nous amenèrent à pied d'oeuvre, nos 70 m3 de sable !

    Le 28 juillet, la maçonnerie débuta avec un seul maçon. Nous comprimes que le travail serait long, mais nous eûmes la bonne fortune de recevoir un ouvrier très consciencieux.

    Profitant de longues journées de beau temps, il consentit à effectuer des journées de 12 heures. Toutefois le travail n'avançait que lentement, car en dépit de leur bonne volonté, les aides étaient par trop novices.

    Pendant plus d'un mois, pour compenser le manque de maçons, les journées de travail furent presque toutes de 12 heures, travail très pénible par les fortes chaleurs d'août. Peu à peu les murs commencèrent à monter ; le 18 août nos premiers échafaudages furent dressés, la forêt voisine fournissant le bois !


Notre futur logement

    Le 26 août, un maçon du pays consentit à venir travailler chez nous. La présence d'un second maçon hâta la fin des travaux de maçonnerie du premier chalet, qui fut prête le 4 septembre pour le montage de la COCABA destinée à constituer le premier étage du chalet. Dès le 5, les deux maçons démarrèrent le deuxième chalet.

    Ses fondations étaient terminées depuis le 2 août, mais faute de maçons le chantier était stoppé. Nos travaux ont été terriblement freinés par le manque d'ouvriers qualifiés.

 



Début du chantier


Les JM au travail

    Ce n'est qu'à partir du 22 septembre qu'un troisième maçon viendra de temps en temps faire des journées, mais cela ne compensera jamais les belles journées perdues, faute de main d'oeuvre spécialisée.

    Dès le 5 septembre, nous avions pu nous lancer dans un travail facile et intéressant réalisé par nous-mêmes : le chevronnage du premier chalet et le montage de la COCABA. Cela rappelait un jeu de construction, en quelque jours toute l'ossature fut montée, au grand ébahissement des gens du pays.

    Le 15, les pignons étaient en place et le 18 nous achevions la toiture. C'est alors que débuta la menuiserie, des volontaires se spécialisèrent dans l'ajustage des planchers et des plafonds, après une petite formation sur le tas.

    Parallèlement le second chalet s'éleva vite ; début octobre la maçonnerie en était achevée. malheureusement les matériaux arrivèrent trop lentement... Nous perdîmes un temps précieux à attendre une poutre maîtresse qui nous empêchait d'achever le solivage. Elle arriva finalement de justesse pour nous permettre le montage de la COCABA avant le grand mauvais temps. Mais là encore nous n'avons pas pu rattraper le temps perdu.

    A partir du 24 octobre, le froid fit son apparition, le thermomètre oscilla entre -10° et -15°, la maçonnerie gelait et la vie était de plus en plus pénible sous les tentes couvertes de neige. On y faisait un peu de feu,
mais cela n'empêchait pas l'humidité, et deux nuits de suite les volontaires ne purent dormir.

    La grippe fit son apparition et c'était vexant de voir ces deux chalets si proches et encore inhabitables faute de carreaux et de portes. Nous n'aurons tout cela que le 8 novembre, et un redoux nous permettra alors de clore nos constructions.


La barraque ADRIAN finie, notre 1er logement

III - Nos efforts enfin récompensés !



Le chalet en cours de finition

    Le 11 novembre, une veillée du groupe à la lueur des bougies inaugura le premier chalet. Le résultat de quatre mois de travail était là : nous étions enfin chez nous. Le contraste était tellement grand entre l'inconfort des tentes et l'aperçu que nous donnait cette veillée de la vie en chalet, que nous restions sidérés des résultats de nos efforts.

    Il nous restait encore beaucoup à faire : dallages, électricité, cloisons, joints intérieurs, escaliers, décoration, mais l'essentiel était fait et les emménagements tout proches.
Nous avions construit de nos mains deux chalets.

    Si la plus grande partie de nos efforts a été concentrée sur les constructions, nous n'en avons pas pour autant délaissé les cultures. Un paysan avait consenti à nous prêter deux champs, pour que nous puissions faire quelques pommes de terre. Ces champs étaient difficiles d'accès, à flanc de coteaux et à un kilomètre du camp.


Le 2eme chalet en amont du pont

    Le fumier fut monté, à la mode du pays, dans de longs sacs et à dos de mulet. Trois cents sacs furent nécessaires, ce qui nécessita 150 voyages, soit 300 kilomètres parcourus ! Nous fîmes nous-mêmes labourage et hersage, mais n'ayant eu que tardivement nos semences, la récolte fut médiocre et paya tout juste notre peine. Nous eûmes par contre de beaux résultats dans notre potager, malheureusement bien petit.

    Pour les foins et la moisson nous fournîmes une aide importante aux paysans, en moyenne 4 hommes chaque jour.

    Fréquemment du reste, ils avaient recours à nous pour de menus travaux, et jamais un homme ne leur fut refusé.

    Ils étaient toujours très reconnaissants et réglaient en nature nos services. Ces divers travaux des champs ont permis à nos volontaires de mieux comprendre la vie rude du paysan.
La majorité d'entre eux venait des villes, et cette vie au contact des réalités de la nature a été très enrichissante.


On rentre le foin

    Constructions, cultures, quelle est la part revenue aux activités montagne ? Un rôle assez restreint au grand regret de tous...

    Les effectifs du Groupe étaient insuffisants pour pouvoir mener de front travaux et montagne. Nous eûmes seulement 12 séances d'escalade.
L'école d'escalade était à une heure du camp, ce qui nous empêchait de nous y rendre plus souvent. Nous avons effectué par ailleurs 15 petites sorties en montagne, brèves randonnées. Cinq de celles-ci emmenèrent les marcheurs au sommet du Pic de Bure 2712 mètres, mais aucun 3000, nul grand raid, pas de grande escalade, en somme peu de choses.

    Notre installation dans le Dévoluy s'est donc faite essentiellement sous le signe d'un travail acharné. Les résultats sont là maintenant pour récompenser nos efforts : nous avons deux chalets confortables, et une réserve de pommes de terre pour l'hiver.

    L'aide fournie aux paysans nous a permis de nous intégrer dans la vie du hameau. Si notre activité montagne a été réduite au cours.de l'été, nous sommes bien décidés à mettre les bouchées doubles cet hiver, de belles pentes nous attendent.

Chef de Groupe Charles de Prémorel - 1942


24 Décembre 1941
Le Gal Bergeret inaugure nos chalets