Centre de Saint Etienne en Devoluy
par René Méjean, Maître d'ouvrage, puis Chef du Centre
Découverte et décisions
Les chefs responsables du mouvement cherchèrent des lieux plus adaptés au but qu'ils s'étaient fixés. C'est ainsi que furent créés ou mieux structurés, après la vie en hôtel des débuts (La Morte – Alpes d’Huez entre autres), trois Groupements : Dauphiné, Savoie, Haute-Savoie.
En Dauphiné, sous la responsabilité d’Henri Ripert, commandant, (Troupes Alpines), se forma un groupement, avec trois centres s’installant, à Saint-Etienne en Dévoluy, à Saint-Julien en Champsaur et à Ancelle, tous trois dans le département des Hautes-Alpes.
Les effectifs du chalet Coutanceix de La Morte se retrouvèrent dans le Dévoluy, au début mai 1941. Dès leur arrivée, il fallut installer des tentes pouvant abriter, chacune, 24 personnes à proximité des lieux de construction des premiers chalets de JM.
La direction du Centre de J.M. avait pris contact avec la municipalité, pour l'acquisition de terrains, sur lesquels seraient construits ces chalets, dans les hameaux du Pré, de l'Enclus et un autre dans le haut du pays.
Philippe Da (lieutenant pilote) fut chargé de transférer son centre C1 de LaMorte vers le Dévoluy. En début juin, il fut rappelé dans l’armée de l’air d’armistice, et remplacé par moi, comme chef de Centre. Je me suis occupé du Centre jusqu’en novembre et, muté à Grenoble, laissai la place à Pierre Thol
C’est moi qui eut la responsabilité de la surveillance technique du début des quatre premiers chalets construits par les jeunes des différents groupes JM. Les constructions furent activement menées, avec des arrivées suffisantes de volontaires, jeunes qui, en sus des activités montagne que l’on put maintenir, apprirent des métiers de génie civil, en travaillant avec des professionnels du bâtiment, embauchés par le Centre et responsables des constructions.
Charles de Prémorel commandait le groupe de l’Enclus, en fond de vallée, une des deux équipes, l’équipe Morel (1) est commandée par Jeanvoine.
C’est André Cardot qui commandait le groupe Dagnaux, installé dans les deux chalets à
construire au Pré en amont de Saint Etienne, les équipes commandées par Lignon et Bescond.
La journée débutait par une séance de gymnastique (méthode Hébert) qui durait une demi-heure. Puis, le travail alternait avec des passages à l'école d'escalade au-delà de l’Enclus et des courses en montagne : le Pic de Bure (2709 mètres),le Grand Ferrand (2761 mètres), l'Obiou (2790 mètres) et les crêtes de Prorel.
(1) L’équipe est engagée dans l’exploitation des coupes de bois (à Cordéac, puis entre Vignes et Sisteron et enfin au col de Chabautes, près du col Bayard).. Au départ du chef de Prémorel, en cours d’année 1943, Jeanvoine le remplace, Aubriot prenant la suite au commandement du groupe ! Fin 1943, le STO disloque l’équipe et le reste est réparti entre Saint-Astier et l’AIA de Toulouse (voir mon journal du centre de Saint Pierre de Rumilly et le transfert sur Saint Astier !)
I – Vous avez dit « Le Dévoluy » ?
Massif de nos Préalpes si peu connu si retiré. Pour le profane, le nom évoque les loups, le pays perdu presque mystérieux en bordure de nos grands massifs alpins. Séparé d’eux par les vallées très encaissées du Drac, du Buech, le Dévoluy cache ses hameaux derrière une barrière quasi circulaire de montagnes d’altitude moyenne, aux flancs abrupts et décharnés, le Pic de Bure, l’Obiou, le Grand Ferrand, y culminent vers 2700 m.
Trois cols, où les vents se battent sans arrêt, ouvrent le passage. Qu’il y accède de Veynes au sud, de Corps au nord, de Saint-Bonnet à l’est, par des routes sinueuses, le voyageur est vivement frappé par le contraste qui s’offre à ses yeux.
Alors qu’il vient de quitter les vallées verdoyantes d’où les forêts montent à l’assaut des montagnes, il se trouve tout à coup au milieu d’un paysage chaotique (2) où la pierraille et l’herbe courte se disputent la place. Ca et là, quelques petits boqueteaux de sapins ou de fayards, quelques épicéas tapissent le fond des deux vallées en forme d’Y, cœur du Dévoluy. Plus haut, les Eaux et Forêts ont assuré un reboisement partiel en mélèzes dont les carrés réguliers et touffus se détachent sur le fond clair et aride de l’Alpe ; au-delà, c’est le domaine du mouton !
C’est dans ce paysage que se déroule la vie du millier d’habitants du Dévoluy, terriens durs au labeur, pour lesquels la seule échelle de classement, est le travail. J’ai entendu l’un d’eux refuser à notre médecin de revenir aux soins sous prétexté de coupe de bois à terminer, alors qu’il avait la mâchoire fracturée à la suite de la chute d’un arbre !
Le travail est rude là haut, aucune charrette, des chemins défoncés où seuls ont accès les traîneaux été comme hiver. Péniblement, au fil des siècles, les champs de terre arable ont été gagnés sur les cailloux, qui rassemblés en immenses tas, strient les flancs des pentes de leurs alignements réguliers.
Ces champs au sol pauvre, mal exposés souvent, en pente pour la plupart ne sont pas très riches et au printemps, à la fonte des neiges,le fumier y est monté à dos de mulet dans des sacs. Et à la fin de l’été, le produit de la maigre moisson assure juste l’alimentation de la famille ! Ce pays reculé connaît mal le progrès. La moisson est faite à la main, le blé battu au fléau, aucun instrument agraire moderne.
Le confort des maisons, l’hygiène font défaut ! Sous les grands toits de chaume moussus, la famille s’entasse au rez de chaussée en deux ou trois pièces à côté de l’étable et sous la grange à foin pour avoir plus chaud ! La petite dimension des fenêtres, les murs épais empêchent la lumière de pénétrer et les planchers restent salis du va-et-vient continuel entre étable et habitation !
Un minuscule autobus fait de rares apparitions, se propulsant au haut de ces deux seuls cols d’accès, au sommet de dix kilomètres de rude montée. Mal desservis dans leur travail et isolés du monde, les Dévoluards se considèrent un peu comme des damnés du sol, toujours courbés sur un travail qui leur assure à peine le nécessaire de la subsistance. Et l’on comprend pourquoi l’appel de la ville a retenti douloureusement dans ce pays : les familles nombreuses ont disparu ! Seul, un enfant reste au pays, mesurant avec bien plus de difficultés un travail qui nécessite beaucoup de main d’œuvre ! Le Dévoluy se dépeuple petit à petit, les fermes vivent au jour le jour, les champs vont à l’abandon !
Le voyage est de 35 km. On s’élève de Veynes (855 m) à La Cluse, petit hameau au centre des rochers en fond de ravin du cours d’eau, à 1300 m. Puis en iso-altitude, par la route à hauteur du petit hameau de Rioupes, à 1400 mètres, on abandonne la route sinueuse qui mènerait jusqu’à Corps vers le barrage du Sautet et le Champsaur, et on prend à droite, la petite route qui contourne en demi-cercle le pied du massif de Bure et, après avoir franchi le pont sur la rivière de Saint-Etienne, la Souloise, en haut de gorges profondes, les Etroits, on arrive au bourg, à 1270 m d’altitude !
II - Jeunesse et Montagne :
Prémices et raisons de l’installation - Premières recherches de terrains de construction
de futurs chalets
Décision des grands chefs de Grenoble.
(Extraits de lettres René Méjean)
Dans ce pays où souffle un vent de dispersion, Jeunesse et Montagne est venu s’établir et rendre les conditions actuelles de guerre moins pénibles ! L’aide aux paysans locaux, le renfort en bras manquants des quelques prisonniers de guerre, apportent un soulagement certain et un plus pour l’économie locale !
Deux facteurs ont joué dans le choix :
Ce fut donc fin avril 1941, l’arrivée des premiers éléments !
Les problèmes de logement des futurs trois groupes d’une cinquantaine de bonshommes posaient des problèmes ardus. Il était évident qu’aucune construction existante dans ce pays pauvre ne pouvait assurer le logement d’autant d’hommes et que seules des constructions nouvelles seraient à même d’assurer l’hiver à venir: six mois à peine pour un ouvrage colossal !
Le ravitaillement posait aussi un sérieux problème car il fallait un grand crochet par un col et une longue descente et remontée pour atteindre Veynes d’abord en fond de vallée au sud du Dévoluy et de là gagner Gap (à une cinquantaine de kilomètres), où un service de subsistance avait été monté pour l’ensemble des deux centres du Groupement Dauphiné ! Quatre chalets furent prévus initialement.
Le lendemain, 27 mai, je raconte le long voyage de la fin de La Morte : Gap, 16 h Veynes, départ du car à 18 h 30 et arrivée à Saint-Etienne à 20 h.
Fin de soirée avec Da qui me propose comme chef de centre, à sa place puisqu’il me dit avoir de bonnes chances de réintégrer l’armée de l’air.
Logement au seul petit hôtel en Dévoluy. J’en dis tout l’agrément de la vue, de la situation face au sud. J’en raconte beaucoup sur ce sujet des habitats, en saluant la grande intimité de ces murs coiffés de chaume et de surfaces réduites mais si chaude d’ambiance, fenêtres face au Sud, dans un décor paysan à souhait, chemins en herbe, toilettes à l’extérieur sur le fumier !
Je parle de mes visites au maire pour consulter et re-consulter le cadastre pour chercher des communaux les mieux placés pour construire assez vite maintenant.
De toute façon, le Centre est calme : chacun fait son trou, au mieux, dans la pénurie et la débrouillardise. Nous n’avons aucun moyen d’aider, aucune réserve. La grande affaire sera le chantier des chalets. On y travaille mais l’important viendra de Grenoble où sont faits les plans et où l’on prépare les actes de tractation sur les terrains que nous avons repérés ici.
Dans le cadre de ce programme, commencent les beaux jours ; le Centre établi depuis fin mai, a assuré sa stabilisation : un PC a été trouvé au village même, les services fonctionnent normalement.
Les terrains destinés à la construction sont prospectés. Les seuls que l’on ait quelque chance de pouvoir louer étaient les terrains communaux ; c’est dans ce sens que les recherches avaient été poussées. D’ailleurs le choix n’était pas grand.
A l’Enclus, petit hameau blotti au pied du Pic de Bure, dans un site exceptionnel pour le Dévoluy, près de la Souloise, unique rivière du pays, une vieille ferme en ruine avait été achetée jadis par la mairie, elle nous est cédée ainsi que, tout près d’elle, un petit triangle de terrain plat en bordure immédiate de l’eau. Un peu en aval, aux Fraisses, deux autres terrains possibles !
Au Pré, autre petit hameau, à proximité en amont de Saint-Etienne, une langue de communal, contigüe au village, légèrement en pente mais au sol rocailleux et solide, fournit la place nécessaire pour l’installation d’un groupe complet avec ses deux chalets. Le site en est moins grandiose mais l’exposition excellente.
Le seul défaut est la sécheresse ainsi que le manque de source. La montagne se dresse juste derrière, nue et calcaire. Chaque automne lespluies de septembre ravinent le terrain ; aussi est-il de toute urgence de creuser un chenal pour éviter les inondations possibles. Ce travail accessoire mais nécessaire a occupé chaque jour, près de huit jeunes.
La grande réunion des grands chefs
Lettres des 6, 7 et 8 juin 1941 : la finalisation des acquisitions de terrains, la finalisation des acquisitions de terrains.
Le 6, je cite : « Aujourd’hui, nous avons passé la journée à courir pour tâcher de retenir les terrains les plus ad hoc, pour bâtir les futures maisons des groupes ; nous avons trouvé cinq des six nécessaires. De 9 à midi et de 14 à 19 heures, en voiture et à pied, sans nous arrêter un instant, et après souper, nous avons fait le point, tant et plus, avec le responsable des opérations à Grenoble venu avec le grand chef « montagne », Gaston Rouillon. Finalement, deux chalets seront construits près du village, , à 100 m du village, où il y a deux terrains intéressants dont l’un, au Pré, un peu en retrait et hauteur, en bordure du chemin menant à l’Enclus en fond de vallée, où s’installe le groupe du chef Charles de Prémorel. Ce sont pour l’instant les priorités. »
Les lettres du 7 et du dimanche 8 juin détaillent l’arrivée des grands chefs de Grenoble
venus finaliser les projets d’acquisitions
J’écris :
« Le soir du samedi 7, au souper, tout le monde était là, de Roussy de Sales, le grand
patron, Ripert commandant du groupement dont dépend le Dévoluy, puis Sabatou, l’architecte
de JM, Rouillon, directeur montagne, déjà cité et Jules Carrel, mon cher moniteur de La Morte
devenu moniteur-chef au Groupement auprès de Ripert. Et nous avons tous discuté. Tu sais
que nous devons construire cinq chalets pour loger deux cents volontaires environ. Tu sais les
prospections que j’ai menées sur les cadastres et avec le maire, les reconnaissances de ces
jours derniers par Rouillon, expert puisqu’issu des Troupes de Montagne. Hier l’architecte les reconnaissait à son tour avec moi.
En conséquence de quoi, hier soir, il a été confirmé et décidé les constructions de quatre bâtiments : à l’Enclus où deux groupes de 48 seront
stationnés et aussi les deux du Pré dont je t’ai parlé et enfin une sur un tout petit terrain, au
dessus du restaurant de Milou vers des Etroits qui forment la fin du plat de la vallée, en aval du
village, sur la route se divisant en direction de Veynes et de Corps.
D’autre part, il faut sur place un responsable de l’entreprise qui organise et rend compte, achète le nécessaire, surveille les chantiers. Eh bien ! Sais-tu qui ils ont choisi ? Ton serviteur.
Alors au lieu d’être « chef de centre » (que je reste, en réalité), je suis, en plus, « directeur des chantiers du Dévoluy ».
Belle étiquette qui appelle à beaucoup d’intérêt : dès demain, je vais courir le pays pour savoir où trouver le sable nécessaire, j’irai à Veynes ou Gap, où le ciment reviendrait le meilleur marché, comment le transporter etc ... Je vais acheter pelles, pioches, tamis, truelles pour les jeunes qui vont faire les manœuvres pour les entreprises.A mon retour, j’aurai trois contremaîtres et maçons sous ma responsabilité et que je
paierai, c’est une activité intéressante, qui me plaît. A la fin de l’été tout devrait être fini pour un
emménagement des jeunes en conditions hivernales correctes.
Pour cette fonction, je ferai de notre petite chaumière du Pré, le centre de
commandement car elle est bien placée géographiquement avec deux chantiers de chaque
côté, celui de l’Enclus à l’Est et celui des Prés àdeux pas à l’ouest vers le bourg.
Et moi-même étant, la plupart du temps, sur les chantiers. Et pour cela on m’alloue un vélo
neuf qui arrivera de Grenoble !
Ce matin, j’ai de nouveau discuté avec le maire
qui était encore réticent pour les terrains communaux dont les chefs avaient donné les cordonnées. J’ai discuté puis suis allé voir les fermiers dont les terrains jouxtaient le communal et ça est allé !Ensuite, avec Da qui part sous peu et que je remplace, nous sommes allés voir le maire et établir le bail.
Après quoi, nous avons revu les effectifs : après demain, il doit arriver les premiers jeunes du Service National Obligatoire, volontaires pour JM. Da me charge de les accueillir. Ils vont constituer les effectifs du Centre avec ce qui reste des anciens de l’Armée de l’Air qui continuent (très peu, en réalité).
Après quoi, je suis allé montrer, à Château et Claverie, le terrain où ils auront la charge d’encadrer les jeunes pour la construction. »