Centre du Drac Grenoble

par René Méjean, ancien chef de centre à Jeunesse et Montagne,
ancien pilote Armée de l'Air
(d'après archives personnelles, thèse universitaire, presse, etc)


Grenoble ville compte deux éléments importants de Jeunesse et Montagne.


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Le PC de la rue Cornélie Gémond, situé idéalement dans la partie nord du centre ville, une rue non passante qui en face du siège JM héberge les locaux administratifs importants des services et annexes militaires de l'Armée de Terre, en fait les Alpins.


Mais aussi à l'autre bout de la ville, jouxtant les berges de l'Isère, une grande structure-entrepôt, complétée par un « camp baraqué » ; un peu plus loin, le tout servant de centre de vie pour les jeunes tant du PC de la rue Cornélie Gémond, dans les bureaux, que pour les nombreux services (garage, santé, vivres, habillement etc), sur place. Mais aussi, depuis le printemps 1942, de centre de réception, à l'arrivée, car c'est là que débarquent les contingents périodiques des astreints au Service National Obligatoire (SNO), s'étant portés volontaires pour l'effectuer à JM.


I - Histoire simplifiée du Centre


Jusqu'en début 1942, le Centre du Drac abrite les logements des volontaires anciens de l'Armée de l'air démobilisés, affectés à Grenoble ainsi que les services et les matériels (garage, vivres, santé, habillement).


Il sera alors complété par un important espace conçu pour désengorger les locaux du Drac devenus trop étroits, avec, désormais, l'incorporation périodique et régulière, des jeunes astreints du Service National Obligatoire et volontaires pour JM, avant leur affectation dans les centres...

Il est constitué de bâtiments en bois, dits « Cocaba », qui donnera ce nom de « camp baraqué » plus utilisé désormais que « centre Pépin », le nom officiel du Drac. Le « camp baraqué » assure aussi l'hébergement des jeunes nécessaires à la vie même des activités à Grenoble.

Le centre est rattaché administrativement au Groupement Savoie de Saint-Pierre d'Entremont dans le massif de la Chartreuse.


Le centre est organisé en quatre groupes - le groupe de Lessan - le groupe Barreau de Lordes - le groupe Rocaboy (de direction) - l'équipe de Chamrousse.


Le groupe de Lessan (un chef de groupe et deux instructeurs alpins) est implanté au Banchet, (Saint-Pierre de Chartreuse) dans un très beau bâtiment réquisitionné d'une colonie de vacances. Il se consacre au forestage. Une des équipes est constituée par les volontaires effectuant 4 mois en montagne puis faisant permutation pour les services à Grenoble avec les 24 autres volontaires ayant, eux, déjà effectué 4 mois à Grenoble.


Le groupe Barreau de Lordes est constitué de six équipes (1) qui, d'abord installées au Drac, seront transférées dans le camp baraqué et ses chalets Cocaba, sous le commandement d'un chef de groupe seul, Pierre Bourdieu. Equipes constituées de façon homogène avec les jeunes employés aux mêmes travaux (2)



(1) Probablement les jeunes employés dans les différents services.
(2) Deux équipes de mécaniciens, 1 de secrétaires, 1 de menuisiers, 1 de renfort et une de volontaires en instance de mutation ou d'affectation. C'est un chef de patrouille (pris parmi les volontaires eux-mêmes, le groupe n'ayant qu'un seul cadre, le chef de groupe prestigieux, Pierre Bourdieu au tragique destin. Engagé en Belledonne dans le maquis « Grésivaudan », celui sous égide JM de Rouillon, il périt dans l'incendie de leur refuge après encerclement par les Allemands qui y mirent le feu.
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Le groupe Rocaboy est celui des volontaires affectés dans les bureaux du P.C. de JM, rue Cornélie Gémond (3), et dont les volontaires seront, début 1943, logés dans un baraquement enfin disponible sur place, au PC.


Durant les 8 mois de leur service, les jeunes de cette équipe passent quatre mois à Grenoble dans le centre bas et l'autre moitié en équipe au Banchet ou à Chamrousse (4). Cette rotation permettait aux volontaires citadins de connaître également, pendant ces quatre mois, la vie d'équipe en montagne

La zone Sud se trouvera sous contrôle direct des Allemands à partir du débarquement américain en AFN, en novembre 1942.

En début 1943, le rattachement au groupement Savoie est annulé et le centre devient autonome. Cette mesure est probablement dictée pour éviter le risque de décision contraignante de la part des allemands concernant le groupement Savoie dont dépendait le centre de Saint-Pierre de Chartreuse et donc le centre Pépin de Grenoble qui lui était rattaché.


En mi-1943<, un nouveau groupe est créé et installé à Saint-Georges de Commiers(5) sur le Drac, à 20 km au sud de Grenoble sur la petite ligne de chemin de fer desservant La Mure puis continuant jusqu'à Veynes puis Gap. Les équipes sont aux ordres des chefs Foucart et Honnilh. Les activités de forestage intensif de ce groupe, créé pour cette mission, sont détaillées en fin de chapitre où est reproduit un interview de grand intérêt du chef d'équipe Jacques Foucart.


Dans ces locaux du 17 de la rue du Drac, se trouvaient les services principaux des Groupements JM : bien sûr, le garage et les nombreux véhicules, certains spécialisés que pouvaient réclamer les groupements ! Mais aussi les magasins d'habillement, le service de santé, les services vivres et administratifs propres au centre lui-même. Ces services sont autonomes, chacun servi par de bons anciens officiers ou sous-officiers spécialistes de l'Armée de l'Air dissoute, devenus « Agents » eton en avait fait un choix particulier.

Le commandement était confié à un chef de centre, le capitaine Azambre, très sympathique et d'un grand calme. A ses côtés, nous sommes deux adjoints : mon camarade de promotion de Saint-Cyr Michel Flamant et moi-même.

L'encadrement direct des volontaires est assumé pardes chefs d'équipes qui assurent accueil et discipline, prise en compte, visite médicale, vaccinations, organisent les rendez-vous et conseillent leurs hommes. Ils gardent donc une grande autonomie par rapport à nous, les deux adjoints, sous la responsabilité du seul chef de centre en titre, le Azambre.

Notre travail était donc plus spécialement tourné vers la seule partie du personnel arrivant. Nous les recevions, un par un :études de leurs capacités, de leur spécialité éventuelle, de leurs souhaits. Orientation, aussi, vers le Centre Ecole de Montroc si certains paraissaient présenter des aptitudes ou pour les officiers volontaires, sortant de l'Ecole de l'Air qui a fonctionné et recruté jusqu'en octobre 1942 ! En fonction de quoi, nous les affections selon les besoins vacants communiqués par le bureau du Personnel au PC de la rue Cornélie Gémond !

A ce PC, d'ailleurs, le grand chef de Roussy de Sales accordait un court entretien à chacun de ces jeunes et n'hésitait pas, parfois, à conseiller de chercher ailleurs éventuellement. L'aspect physique du bonhomme jouait un certain rôle dans ce cas-là !

Puis, nous proposions notre projet de décision d'affectation au chef de centre Azambre. Et c'est lui qui signait les mises en route pour les lieux d'affectation.



(3) Les 2 équipes du groupe de 50 jeunes volontaires travaillant au PC, rue Cornélie Gémond, logeant dansdes baraquements construits derrière l'immeuble servantce PC. Le chef en est Pierre Lartigue. Elle est crée en début 1943, le temps de construire les logements. De 40 à 43, elle faisait partie des équipes du groupe Barreau de Lordes au Drac.
(4) Chamrousse au dessus de Vizille, en pied du massifde Belledonne où les Groupements JM ont une équipe complémentaire du groupe stationné au Drac, centre Pépin.
(5) Ce village de 800 habitants que j'avais visité un dimanche de désœuvrement, bloqué à La Mure par le mauvais temps tout au début de mon arrivée à JM.



C'était un travail intéressant mais en fait, un service d'état-major, nous laissant donc, nous les adjoints, relativement libres de tâches immédiates suivies, nous cantonnant à cette mission d'orientation !


Je n'ai donc passé à Grenoble que onze mois, de mon arrivée vers début novembre jusqu'à mon affectation comme chef de centre à Saint-Pierre de Rumilly lors de la création du Groupement Haute-Savoie, en octobre 1942. Mais onze mois amputés de pas mal de séjours extérieurs (un mois au total) et de celui d'un bon mois et demi en vol à voile, nous le verrons.


II - Nous avons quitté Saint Etienne. Quel changement !

Il y a peu de lettres de Grenoble vers la parenté. Il faut donc interpréter : par exemple c'est une lettre du 20 octobre à nous adressée, qui se réjouit que nous ayons trouvé un « hôtel »...! Et une du 4 novembre qui situe notre arrivée définitive avec armes et bagages à Grenoble au 29 octobre !


Grenoble étant une ville agréable, animée, et il y avait quelques épouses de chefs, femmes d'officiers puis nous avions des connaissances possibles se révélant très agréables ! Ce fut un bon séjour, sans problème, même si nous n'avons pu nous loger en appartement, du moins au début.


Le travail au centre n'est pas permanent, la grande affaire étant, nous l'avons vu, les incorporations. Or les appels de jeunes sont espacés et par trimestre. La liaison avec les Chantiers de Jeunesse pour le volontariat et lamutation, la comptabilité des hommes et celle des besoins se font, au service du personnel au PC de la rue Cornélie Gémond, en fonction des nécessités des Groupements, sous laresponsabilité du chef Pépin, un ancien officier administratif de l'Air.

Nous avons donc des plages de moindre occupation dans ces intervalles et aussi, au moment des fêtes.

Ce sera pour nous la possibilité de prendre la plupart des congés, Noël, Pâques et même dans l'été 1942.


III - Nouvelles du Dévoluy

En plein hiver 1942, le chef d'équipe de Boutray, mon ancien indispensable et solide chef des services du Centre à Saint-Etienne, est invité à dîner avec nous à son passage à Grenoble.

Il raconte que le seul moyen là haut, est le ski.

Temps si exécrable, un soir, qu'ils ont mis 20 minutes du restaurant Chaillol jusque chez eux, dans le village (soit à peine 200 m). Un matin, ils ont même été bloqués à domicile et secourus par un paysan car la neige empêchait l'ouverture de la porte par l'intérieur ! Ils sont restés 10 jours sans courrier aucun ! Les relations avec Pierre Thollon, chef de centre sont tendues. Des lettres, de la plume de madame Pierre Thollon, Odette de son prénom, à mon épouse décrivent les grandes difficultés dues au manteau neigeux, à l'isolement, à l'absence de cadres mariés. Les lettres sont très amicales. Odette retournera d'ailleurs faire un long séjour à Marseille dans leur habitation avant d'y retourner définitivement avec son mari, à l'arrivée d'un vrai montagnard, Raymond Leininger, grand alpiniste qui assumera la conduite du centre jusqu'après la libération et la participation armée du centre en fin 1944.


IV - Le vol à voile à la Montagne Noire

Compte tenu de notre inclusion dans la « Jeunesse Aérienne » au niveau du ministère de la Famille et des Sports, nous devions nous impliquer dans les sports aériens et le centre du Drac était bien placé.

En particulier, maintenant que les groupements sontà peu près installés et stabilisés, de Roussy de Sales a pensé que nous pourrions monter quelque chose avec l'aviation sportive de vol à voile à Grenoble.


Le petit terrain d'Eybens, au sud-est de Grenoble est intéressant, avec des possibilités d'utiliser les ascendances des collines qui jouxtent le village, en piémont de Belledonne.

Je suis désigné pour explorer la chose mais personne n'est pilote de planeur.


Le PC décide donc de demander des places aux différents centres de vol à voile nationaux, en particulier celui de la Montagne Noire (6) qui est le plus intéressant avec ses vents souvent réguliers et constants(7).

Et je fus désigné pour aller faire le stage d'environ deux mois de juin 42 ! Quelle belle occasion ! J'arrivais à Castelnaudary le 2 juin et on m'installe au Grand Hôtel de France et Notre Dame, chambre austère : « inénarrable » dis-je !« 2 m sur 3 ! Pas de fenêtres donc éclairage électrique, ni de porte-manteaux ! L'on m'en changera le lendemain. »


Notre stage permet d'obtenir le brevet de « moniteur adjoint de vol à voile». Cela me concerne peu mais d'autres JM ou des candidats présentés par la Jeunesse Aérienne de Vichy y sont intéressés. Nous serons assez nombreux, je pense environ une bonne vingtaine mais certains arriveront en fin de stage pour commencer avec nous et continuer en août. Pour nous, c'est une vraie promotion, qui sera baptisée par Eric Nessler lui-même.


Nous savons par le centre de la Montagne Noire, que nous devons rester jusqu'au 10 juin, « en bas », pour faire le stage de théorie à l'usine de construction et de réparations des planeurs qui se trouve en banlieue de Castelnaudary. Avec les quelques stagiaires présents, nous nous appliquons à ces séances. Mais c'est bien fastidieux ! Certes voir ce qu'on peut arriver à faire avec du bois de la toile et de la colle, c'est étonnant. Mais nous forcer à des cours théoriques formulés par les moniteurs techniciens mais sans aucune maîtrise pour des gens comme nous,futurs pilotes militaires, cela nous paraît de la fantaisie ! Quoiqu'il en soit, je prends des notes sur un carnet conservé.


Le stage lui-même, au terrain, se forme petit à petit : il y a des gars de JM : de Lasteyrie, Antilogus, mon cousin Firmin Vermeil et son ami Jacques Mathis, Thiollier, Fonteilles (8) deux chefs de groupe JM, d'autres peut-être. Je relève d'autres noms comme Geillon, Chenu, un ancien moniteur de la 102, et Norloff. Je pense qu'on convoque aussi quelques moniteurs en réserve, pour les gros stagesde la bonne saison d'été, comme le nôtre. Ce sera le cas de Landon, Duchêne accompagnés de leurs épouses, peut-être d'autres.

Je suis installé à l'hôtel de la Plage à Saint-Ferréol, petit hameau près de Revel, jouxtant le bassin de rétention d'eau (pour le canal du Midi à 350 m d'altitude). L'hôtel au bord du lac est bien placé, Revel la ville est à 3 km et le centre de vol à voile à 5 km. Les problèmes de provisions dans cette riche région desenvirons de la Montagne Noire ne se posent pas.

Je peux m'installer en famille. Nous serons très heureux de ce revoir, en hôtel près du lac et avec des ballades possibles pour nous à chaque temps de liberté. Il y aura une belle osmose avec les épouses présentes, assez nombreuses dont en particulier, madame Chenu, épouse d'un stagiaire et aussi les dames Landon et Duchêne, déjà citées !

Nous avions bien copiné avec les Chenu. Mais, en cours de stage, les voilà, avec Norloff et Jacques Mathis partis pour Saint-Auban,l'autre grand centre, provençal, de vol à voile.



(6) C'est au printemps 1932 que Jean Thomas découvritle site de la Montagne Noire, sur les hauteurs du bassin de Saint-Ferréol ; s'en suivirent une multitude de décollages au sandow, pour prospecter le site et découvrir les fantastiques conditions aérologiques qu'il offre. Le 19 octobre 1932, Thomas se pose à la tombée de la nuit, aux commandes de son Sulky, au terme de 3 h 25 de vol, battant ainsi le record du monde de durée en planeur. Le terrain fut ensuite élevé au rang de Centre National de Vol à Voile le 16 avril 1941. Dédié à la formation et au perfectionnement des vélivoles, il accueillera des centaines de stagiaires.
Le 20 juin 1942, au terme de 38 h 06 de vol, Eric Nessler se pose à la Montagne Noire, battant ainsi le record du monde de durée en monoplace.
(7) Une trentaine de gars de JM feront ces stages et obtiendront le brevet de pilote de « vol à voile ».
(8) Fonteilles, de 5 ans mon aîné, est pour l'instant un inconnu pour moi. Je l'aurai sous mes ordres à Saint Pierre de Rumilly quelques mois plus tard. C'est un solitaire, célibataire endurci, il sera un grand de l'aviation sans moteur. C'est un officier de réserve.



Des lettres des 16 au 20 inclus

Elles parlent des amis, de Thiollier de JM, qui sort d'hôpital et quitte le stage pour convalo. Il nous offre à Fonteilles, Gorecki et Geillon un bon repas à l'hôtel du Lac, pris à 23 h (vol oblige) terminé à 2 h du matin !
      Vu Firmin Vermeil arrivé du Dévoluy pour un stage ici. J'annonce le départ de Saint Etienne-en-Dévoluy, du chef de Centre Pierre Thollon et ma probable mutation en Haute-Savoie, pour créer un Centre.

      

Je parle d'un examen écrit à passer le lundi d'avant le départ : aucun risque pour moi, car juste nécessaire pour les futurs brevetés « moniteurs adjoints » et je n'en ai pas besoin, si je le rate ! Donc pas de stress !/pr>

Nous finirons vendredi 24 juillet à midi, Eric Nessler, le grand champion, présidant au baptême de la promotion et partant tout de suite après.


(9) C'était un cousin, pas trop éloigné. Né en 1914 à Chalons-sur-Saône, pilote de chasse d'active il sera démobilisé au Maroc mais revenu en France, il sera candidat pour Jeunesse et Montagne puis, après ce stage de vol à voile, dès octobre 1942, avec le même ami Mathis, il passera par l'Espagne pour l'AFN. Affecté en Tunisie, il est volontaire pour le groupe de chassefrançais, Normandie-Niémen, sur le front Soviétique, en avril 1943. Il sera promu sous-lieutenant et descendu en octobre 1943, au cours des combats aériens de la bataille d'Orel (corps non retrouvé).



V - Le stage lui-même (juin-juillet 1942)

Le centre est installé au-dessus de Revel, sur le sommet présentant un beau plateau où ont été construits dès 1932, hangar sommaire et local bureau, gardiennage et salles de travail !


1. Le vol de pente

Tout est conditionné par le vent, requis très faible pour des exercices de début où l'on est « travers du vent », mais qui doit être beaucoup plus constant et de bon niveau pour les évolutions de « vol de pente » comme on les appelle.

Ce vent essentiel est de direction travers de pente est, à la Montagne Noire, vents de nord-ouest ou ouest assez fréquents dans cette région ! Et donc on ne connaît ni dimanche ni jour férié, sauf période établie de l'Autan, ce vent d'est où tout vol est impossible&&bsp;!


Comprendre la technique de ce « vol de pente » qui conditionne le vol à voile.

      Pour maintenir en vol un aéronef sans moteur, il faut que cet aéronef soit « assis » en quelque sorte, sur un courant d'air ascendant, l'empêchant de se vomir au sol. Lorsqu'un vent suffisant en force et soufflant perpendiculairement à une éminence de terrain, se heurte à la pente rencontrée, il prend une direction ascendante, jusqu'au sommet de la pente puis se rabat pour suivre l'opposée de l'autre côté de l'éminence. On comprend que si on place un aéronef dans ce courant ascendant, cet aéronef tiendra en l'air. Il s'élèvera avec le vent ascendant puis si l'on ne fait rien, continuera au fil du vent jusqu'au sommet mais entraîné plus avant, se trouvera rabattu vers le sol sur la pente opposée.


Toute la technique consiste donc à éviter que l'aéronef ne se laisse entraîner sur le sommet et donc à le maintenir en permanence en amont de cette pente dans cet air ascendant son seul soutien pour le vol !

La pratique est simple : il suffit de voler parallèlement à la pente et arrivé en bout de colline de virer face au vent jusqu'à se trouver ensens inverse de la direction quittée, reprendre et rester en vol parallèle à la pente en refaisant le chemin inverse jusqu'à l'autre extrémité de la colline et une fois arrivé,de faire un nouveau demi-tour et recommencer le circuit ! Cela assez facile à exécuter, certes fastidieux par sa monotonie. Mais c'est la seule solution pour tenir ainsi, indéfiniment ! Oui mais à condition que le vent ne faiblisse pas ! Or le vent faiblit la nuit et le vol de nuit reste une exception et un dilemme !


L'avantage de la Montagne Noire tient à l'importance de la longueur et de l'étendue de la pente exposée au vent, plusieurs kilomètres. Il tient aussi au bel angle de pente, à la régularité de la taille en hauteur de cette pente et au beau plateau de bonne dimension de son sommet.


Le calendrier des vols !

Ce fut bien rempli et les vents assez constants favorables.


Premier vol. Le planeur est un 15 A, monoplace de début, pataud et disgracieux mais il vole et il est costaud, rude aux chocs, à peine entoilé (ailes bien sûr et gouverne arrière) mais au minimum pour sa simple nacelle de pilotage, baquet ouvert à tous vents, accroché à ses deux ailes hautes, avec un long patin de bois dur comme train de décollage et atterrissage,

;A la force des bras, l'engin est juché sur un petit élévateur à roulettes, et amené assez loin derrière le lanceur, un engin motorisé fixe qui gère un long filin. Le filin est déroulé sur une bonne cinquantaine de mètres et le fort crochet qui orne son extrémité est inséré au nez du planeur.

J'écris : « Après mon installation et la vérification des attaches et carlingue par un pilote moniteur, ordre est donné de lancer à fond le moteur du treuil. La corde se tend, entraîne le planeur qui prend de la vitesse et décolle dans les vingt mètres, bien avant le treuil. Je tire sur l'anneau libèrant le filin d'acier qui retombe au sol, me laissant au bon soin du vent qui est noté NW 2- 3, donc léger, maistravers de pente et de décollage : sa si faible force ne pose aucun problème particulier de déport. »

Ce premier jour, le 11 juin, il faut effectuer un palier de 15 secondes à 5 m du sol et se reposer donc en droite ligne un peu plus loin sur la piste, longue bande bien égalisée ! Puis un second vol de 35 secondes à 10 mètres de haut. Tout ceci sans virage ni manœuvre.


Il fallut attendre le 16 pour effectuer, toujours avec vent faible, de niveau 2 ou 3, un troisième vol de 45 secondes ce qui me valut le Brevet A (deux décollages et atterrissages) et la 1ère partie du brevet B (un premier vol solo) et le même jour un second vol de 50 secondes valant 2ème partie de brevet B puis 5 minutes 20 secondes valant confirmation du brevet B !


Le lendemain, sur un Castel C 242, (Castel), en double commande d'instruction, avec le moniteur Didion, quatre vols successifs de 3 à 4 minutes pour les trois premiers suivis d'un vol d'une heure pour le quatrième ! Et le lendemain sur un 15 A, épreuve réussie du brevet C (vol de plus de 20 minutes - actuellement 60 minutes), avec un vol de 26 minutes (10) en vol de pente !


Le 19, sur C 242, et moniteur Landon, vol de 1 h 05 pour atteindre 950 m d'altitude pour me permettre, l'après-midi, un vol solo de même durée me valant épreuve de « moniteur adjoint ».


Le 21, sur 15 A, ayant mal apprécié la force du vent de travers, me voilà déporté et pris dans le vent rabattant. Perdant la faible altitude des quelques secondes après le décollage, je me retrouvais, posé et perché sur un arbre en équilibre sans bobo pour moi ni l'appareil sauf quelques griffures réparables ! Sans frayeur d'ailleurs tant la vitesse est réduite !


Le 29 juin, entraînement pour le brevet D, faisceau de difficultés puisqu'il fallait monter à 1000 m, effectuer un vol de plus de 5 heures et franchir plus de 100 km en distance ! Ce furent deux longs vols en double commande sur C 242, l'un de 1 h 35 le 29 juin, avec le chef de centre Gourbeyre (11), l'autre de 2 h 50, le 12 juillet, avec le moniteur Bouchoux. Suivis de plus de 1 h 30 d'entraînement solo, trois fois de suite, les 2 et 11 juillet puis le 13.


2. Les cumulus et les ascendances

Evidemment, la technique de ces vols est différente de celle du vol de pente.

Elle est centrée sur la recherche des ascendances sous les gros cumulus que ces belles journées de juin-juillet permettent de trouver au rendez-vous. Mais on le voit, il fallut bien quinze jours pour remplir le contrat !

Cette technique doit devenir instinctive, faite d'anticipations, de choix instinctifs plus que méthodiques : il faut vraiment se sentir oiseau. En bref, aller trouver l'air ascendant lié à la formation des cumulus d'été.


Décoller, se mettre vite en direction d'un gros cumulus en avant de la pente et venant vers vous, entraîné par le vent. Soi-même, ralenti par le même vent, il faut savoir se laisser descendre - on ne peut l'éviter dès avoir quitté le vol de pente – viser juste vers ce cumulus, trouver l'ascendance dans sa cheminée sous lui – un frémissement des ailes et la sensation confirmée par le variomètre, de montée, s'agitant frémissant ou s'emballant - et orbiter dans ce cylindre souvent étroit et non balisé bien sûr ! Surtout ne pas en perdre le contact, ni se laisser entraîner par un cumulus qui franchirait le sommet de la Montagne Noire, auquel cas c'est l'atterrissage en campagne en aval.

Puis une fois propulsé à la base du nuage, toute l'altitude perdue ayant ainsi été restituée, ne pas se laisser aspirer dans le nuage lui-même - ah, ces gros paquets gris qui se rapprochent si vite et tentent de vous happer et qu'il faut quitter à tout prix - mais savoir vite repérer le cumulus suivant en amont du vent, avoir la notion de ne pas trop perdre toute sa réserve d'altitude et atteindre la zone de bas de cette seconde cheminée d'ascendance de ce deuxième cumulus.

Et ainsi de suite de cheminée en cheminée, tenir cinq heures pour le brevet D ! Et surtout éviter la « vache » (l'atterrissage en campagne) et les quolibets de tous les copains et instructeurs et les mauvaises notes bien sûr.

Mais quelle attention et quel coup d'œ il pour choisir le bon cumulus, ne pas le rater et trouver l'ascendance sous lui, au flair. Etre oiseau, donc !



(10) L'atmosphère est une source d'énergie unique. Le soleil échauffe le sol et l'air ambiant s'élève en altitude. Cela crée une ascendance, terminée par un cumulus (Cu). Le pilote de planeur repère, pour se centrer sous ce cumulus et chercher l'ascendance puis cercle dans celle-ci et monte ainsi jusqu'à la base du nuage. Lebut est de naviguer d'ascendances en ascendances. Dés que le planeur quitte une ascendance, il se dirige, en chutant jusqu'à ce qu'il en trouve une autre. Puis il remonte dans celle-ci. Ce petit jeu peut permettre de monter jusqu'à plus de 1000 mètres à la base d'un cumulus d'été et se prolonger jusqu'à 200 km, 300 km ou plus dans notre région.
(11) En 1952, M. Jean Gourbeyre, chef pilote à la Montagne Noire est appelé à d'autres fonctions. Ainsi, pendant un peu plus de dix années, Gourbeyre aura marqué de son sceau l'évolution pédagogique de la Montagne. Son "Cours de Pilotage Elémentaire", illustré par Brault, fait école. Fruit de l'expérience et de la science, il débute par une sage remarque : « vers 100 heures, le pilote croit tout savoir ; vers 300 heures, il est sûr de tout savoir ; vers 1000 heures, il se rend compte qu'il ne saura jamais tout.



Ces journées au centre de mi-juillet sont intenses. Je dois voler sur 30 S pour le brevet D, montée à 1000 mètres et les 5 heures.

Finalement après un dernier entraînement le 14 juillet, sur un planeur plus fin de second degré, le 30 S, je m'envolais le 15, sur un C 30, autre très fin planeur pour un vol de 5 heures 45 minutes du brevet D en montant jusqu'aux 1200 mètres (1000 m requis) que me permettait la base des cumulus, ce jour-là.


3. Le brevet D

Le 16 juillet 1942 : « ... souffler un peu après ces 6 jours ininterrompus de vol du 11 au 15. […] repos aujourd'hui bien gagné ! […] hier les cinq heures et l'altitude […] il ne faisait pas chaud : pull over, veste, combinaison de vol, cuir, serre-tête, tour de cou, gants et lunettes […]

On me prépare le 30 S n° 9, celui de la veille ! [… ] Décollage 13 h 30, je gratte la pente et crains d'avoir à me poser tant ça porte mal ! […] tout à coup, un thermique qui passe : l'avion frémit et l'aiguille du variomètre indique 2 mètres de montée à la seconde. […] assez vite à 300mètres puis à 700, mais déjà le vent déportait au-delà du Centre, le nuage sous lequel j'étais et il fallait ne pas se laisser emporter. Donc, cap en avant du Centre, là presque sous moi déjà, et contre le vent cela n'allait pas vite et je perdais de l'altitude.

Je visai un nuage en avant de la pente […] perdu 300 mètres puis remonté à 800 sous le nuage suivant et ainsi de suite des sauts : de 400 à 800 puis de 500 à 900. Tout d'un coup, sous un autre nuage, j'ai été pris dans une ascendance formidable : vario à 4 m/s de montée, vitesse relevée sur le cadran passant à 80/90 km/h alors que la moyenne est de 40 km/h. En un rien de temps j'étais à 1300 m, altitude de brevet largement dépassée – (1000 m).

J'étais au raz du bas du nuage tout gris ; il m'a fallu vite dégager pour ne pas me trouver dans le nuage et le risque de plus fortes ascendances encore et des coups de bélier […] obligé de piquer à 100, 110 km/h pour me dégager en glissant tant et plus ! Et tout à coup, vario à zéro, vitesse 40 km/h ; j'étais content, et je ne cherchais plus trop les gros « Cu » comme on dit ! Mais essayant de remonter et descendre calmement […]

Oui mais, l'après midi avançant, les nuages se rétrécissaient et les thermiques étaient de moins en moins costauds et de plus en plus difficiles à trouver. D'où le vario en baisse à 1 m/s de descente et je me retrouvais à 400, 300, 250, 200 m et bien obligé de gratter la pente avec un pauvre vent ascendant et je pensais être obligé à me poser si près de mes 5 heures du brevet. […] long moment ainsi.

Puis tout à coup, j'ai senti une nouvelle vraie ascendance et j'ai grimpé en spirale, pour ne pas la perdre et ainsi arriver à 1100 m […]

Là, ce fut très intéressant car, au lieu de piquer, je restai aussi haut que possible, perdant à peine 300 m entre deux nuages successifs, les regagnant vite sous le suivant d'autant que le ciel se structurait de beaux cumulus bien ronds et gros mais espacés et il était facile de jouer à saute-mouton toujours en avant de l'aplomb de la pente, pour la récupérer, au cas où !

A un certain moment, vers 17 h, l'air était tellement porteur que l'on naviguait sans perdre d'altitude ! Ca c'était du vrai et fin vol à voile. L'oiseau, quoi ! Ces cumulus épars, l'altitude atteinte, c'était sous mes ailes, une plaine éblouie de soleil dans les verts profonds des bois et les ocres des champs d'en bas. Superbe et bonheur !

D'ailleurs il y avait dix ou douze taxis en l'air et c'était la convivialité ! On était même obligés de décrire des spirales en descente pour nepas entrer dans les nuages qui arrivaient sur vous. […] On pouvait aller où l'on voulait ; j'ai visé le lac, puis Revel puis Saint Félix, puis le camp. […]

J'en avais largement assez, physiquement. Aussi bien, dès les 5 heures de vol atteintes, je descendais pour racler la pente en attendant mon tour d'atterrissage. […] l'ordre d'atterrissage est affiché par votre gros numéro de planeur en vert sur un fond jaune. Certains étaient encore haut et j'ai donc dû attendre 45 minutes l'affichage de mon numéro […]


  

J'atterris mieux maintenant, toujours un peu court; […] Une fois au sol, j'ai cru ne pouvoir me redresser tant j'avais mal aux fesses ! […] J'étais heureux. J'avais tenu les 5 heures en l'air, atteint 1300 m d'altitude, plus que tout ce que j'avais pauvrement fait en école de pilotage militaire à moteur et ce, sans l'aide de propulsion autre que le vent. »

J'empochai ainsi les deux parties de ce brevet mais le stage se terminant, je ne pus jamais réaliser la 3e épreuve, celle des 100 km de distance ! Dommage mais quelle belle période !


VI - J'étais présent pour le record du monde d'Eric Nessler (12)
- 18 juin 1942 - 12 h 20 - 20 juin 2 h 26 -

Nous fûmes associés aux péripéties de ce record qui occupa un grand après-midi puis toute une nuit et un jour entier pour se terminer à 2 h du matin la seconde nuit. Nous n'avons pas beaucoup dormi, suspendus à l'événement.



(12) Eric Nessler est âgé d'une quarantaine d'années. Sobre de paroles, peu souriant, modeste mais tenace,cet homme de taille moyenne aux petits yeux gris, à la figure ouverte est le type même du Lorrain. Depuis très longtemps, il habite sur les pentes de la Montagne Noire, cette longue arête rectiligne ouverte aux vents du Nord assez constants en cette région est un endroit idéal pour le vol sans moteur.



J'en fis le récit lors de mon stage aux Etats-Unis,écrivant ces moments exaltants pour mes congénères dans le petit journal de la base aérienne américaine qui nous hébergeait ! En voici la copie !


Extrait journal de la base aérienne américaine de Selfridge Field

« Depuis plusieurs jours déjà, Nessler montait au terrain, sortait son planeur, un bel oiseau fin et racé aux ailes gracieuses fines et longues, tout en bois et avec volets et freins aérodynamiques, le Spalinger 18 « Le Spal de Nessler », comme nous l'appelions !

L'homme venait souvent, - il habitait dans les parages - démontant un accessoire, remontant un autre, retendant un câble. Puis volantpendant des heures !

Puis un jour, nous le vîmes arriver muni d'un panier avec une bouteille thermos et transportant un somptueux paquet enveloppé de papier brun !

Quelques minutes après, il décollait et contre son habitude il était sans son chapeau mou, orné d'une plume de perdreau et sans sa grandeécharpe de soie !

Il était exactement 12 h 22, ce 18 juin 1942 et nous sûmes alors, et sous le manteau, que Nessler décollait pour tenter de battre le record du monde de durée ! Aucun bruit de cette préparation n'avait transpiré !

Il vola un moment en vol de pente puis profitant d'une ascendance opportune, il s'éleva très vite jusque vers mille mètres d'altitude. Et là installé face au vent, il vola, il vola, presqu'immobile ! Il avait une telle connaissance de tous les recoins des ascendances sur sa Montagne noire qu'il se tint dans un carré où il établit son vol sans perdre d'altitude en manœuvrant dans un cercle trèsserré ! Toute la soirée et voilà la nuit ! Il est toujours là–haut, on voit le Spal se découper sur un ciel transparent.

Le moment crucial fut la fin de la nuit lorsque Nessler en connaisseur, utilisait les petites combes où des restes de vent-coulis pouvaient suffire. Nous pouvions le voir comme une ombre mobile juste un peu plus foncée quela nature autour, se faufiler raclant littéralement la pente. A un niveau plus bas que le sommet où étaient installés le camp et la piste. Il allait ainsi d'un bord d'une petite combe à un autre où il savait trouver les derniers petits courants ascendants nécessairespour le soutenir !

Lui-même s'est expliqué sur ce moment très délicat :

« Cela semblait une baisse momentanée du vent : je voulais donc faire tenir l'appareil sur l'un des endroits que je connaissais, un petit vallon au long du quel s'écoule les derniers ruisseaux d'air quand le vent disparaît. C'était en face des bâtiments du Centre, plus bas que ceux-ci, sur un parcours de cent mètres que pendant une heure, je m'efforçais de tenir en ce seul lieu favorable, pardes évolutions au ras de la pente. Le pilotage dans ces conditions demandait une telle concentration d'attention que je sais avoir désiré longtemps un morceau de sucre et n'avoir pu le faire... »

Et il gagnait ! Vers 8 heures, le brouillard de la plaine monta, se déchira et le vent s'établit, léger d'abord puis se renforça et Nessler remonta de quelques mètres puis continua de voler en ascendance de pente faisant des huit au flanc de la montagne profitant uniquement de ce vent de la plaine rencontrant ce soubresaut de terrain, en étant dévié et montant sans cesse soutenant le planeur ; au fil de la matinée, les ascendances thermiques se rétablirent et Nessler les utilisa pour remonter de nouveau, très haut. C'était sauvé pour la journée !

Bientôt il y eut vingt-quatre heures qu'il était en vol puis vingt-huit puis trente. Et le soir lorsque nous le vîmes très haut, immobile, profitant des restitutions dans les derniers feux du jour, nous savions qu'il avait à portée de la main le record du monde. Il y avait trente-quatre heures qu'il volait et l'Allemand avait tenu trente-six heures. Nous savions qu'il pouvait tenir deux heures de plus.

En fait, il tint jusqu'à 2 h 26 du matin, le 20 juin, et fut obligé de se poser de nuit sur la petite piste balisée aux lampes tempête. Il avait battu de 2 heures et quelque le record allemand. Nous avions tous au cœur, une joie profonde car en 1942, la France bien que continuant à lutter dans tous les domaines, ne pouvait pas prétendre à grand-chose.

Hélas deux jours après, le record de Nessler fut réduit en miettes par un autre allemand. Nessler eut cette phrase : « D'accord pour cette année, mais je les aurai quand je voudrai. »



Un cierge pour un record

Charles Boissonade cite l'anecdote suivante : "... Eric Nessler, lors d'une précédente tentative contre le record du monde de durée, s'était plaint du froid dans le cockpit du Spalinger la nuit, de plus il ne voyait pas les "pendules". J'obtins de la mairie de Castelnaudary un "bon-matière" pour un paquet de bougies, denrée sévèrement contingentée alors. Pas de bougies à Castelnaudary ni à Carcassonne. Un ami me fit connaître le curé de la cathédrale de Carcassonne qui voulut bien échanger mon bon contre un cierge, lequel - coupé en tronçons - facilita la tentative victorieuse de Nessler...."


Le lundi 1er juillet, pour fêter son record du 29, Nessler offrit un bon repas qui se termina très tard, dans l'euphorie, et le mardi de la semaine suivante, les personnels du Centre et nous, rendions à Nessler le repas qu'il nous avait offert : excellent. La grosse activité au Centre après des jours froids et inaptes au vol reprendra à partir de mi-juillet, pour se terminer le 19.


VII - Retour à Grenoble après le stage>

Je n'ai pas de souvenirs précis d'après stage

D'abord il fallait bien être présent au centre, à Grenoble, après ce beau stage. Bien entendu, dès mon retour, donc vers le 20 juillet, les activités au Centre furent maigres, toute incorporation étant en instance pour plus tard.


Je m'occupais donc de ce fameux vol à voile à préparer soit pour l'été mais avec qui ? Moi-même n'étant pas apte à diriger une telle entreprise et personne au sein de JM à Grenoble, non plus. Seuls les vélivolistes locaux pouvaient être de quelque recours pour monter quelque chose ! Pour plus tard, bien sûr !


Je fis donc de nombreuses stations à Eybens, sans m'attacher à grand résultat.

C'était plutôt une raison de s'aérer et de rêver ! Je ne fis d'ailleurs aucun vol car il fallait payer et rien n'avait été envisagé en ce sens. D'autre part on conçoit que par ces temps difficiles et de restrictions il n'était pas envisageable de s'amuser à gaspiller le pétrole pour le lanceur.


Et pour JM, relisons les statistiques de ce vol à voile.

Citation recueillie dans « Jeunesse Aérienne », le journal de la Jeunesse et des Sports Aériens :

- Dès le mois de mars 1941, les centres de La Banne d'Ordanche et de la Montagne Noire reçoivent des chefs et volontaires de JM. En tout, quatre stages, 270 heures de vol :
30 brevets C et 6 épreuves de 5 heures du brevet D(dont la mienne), une épreuve d'altitude du brevet D (la mienne donc) et un brevet D complet(je pense que c'est celui de mon bon ami, le chef de groupe Fonteilles, futur champion de vol à voile - avec moi, à Saint-Pierre, et au même stage que moi à Revel -.)


VIII - Août 1942 le Mont Blanc et l'Aiguille du Plan (3867 m)

27 août 1942 : La vallée de Chamonix sous les nuages
L'Aiguille Verte, et arête vers Charmoz – Grépon --Vue prise en montée
vers le refuge Vallot lors du raid du Centre Ecole de Montroc
(65 participants)

(Photo R. Méjean)
  
A dr. : Cordée du chef Méjean, en descente du Mont Blanc (27 août 1942)
A g. : Aiguille du Plan (3673 m)
Au-dessous : Du haut de l'Aiguille du Plan le panorama circulaire sur le massif Mont Blanc

(29 août 1942)

(Photo R. Méjean)


Le 27 août 1942, quelques chefs et volontaires de Grenoble furent invités par le Centre Ecole de Montroc à un raid au Mont Blanc par un ensemble de 65 chefs et volontaires sous les ordres de Thollon lui-même. J'en fis partie. Ce fut un exploit : « un record par le nombre de participants, qui ne devait tomber que bien des années plus tard (13). »




Au cours de ce court séjour à Montroc, j'eus l'occasion de participer à une autre course visant l'Aiguille du Plan dans le massif de l'aiguille du Midi et des trois aiguilles Blaitières Charmoz-Grépon, au dessus de la vallée de Chamonix. Course assez facile permettant d'avoir une vue superbe sur l'ensemble du massif du Mont Blanc, d'où les potos prises par moi, ce jour là. Souvenir impérissable pour ceux dont j'étais qui aiment bien reconnaître et nommer les sommets alentour !



(13) Numéro Spécial 1990, direction Serge Larcher, éditions « Association Collectionneurs d'insignes et de décorations – SYMBOLES et TRADITIONS -, p. 20.



APPENDICE I


Éric Nessler

Né à Lunéville le 20 mai 1898, il fait voler les premiers planeurs de sa conception dès 1916 au Camp du Ruchard. Pendant la première guerre mondiale, il est mobilisé dans les Dragons, puis comme aviateur: breveté pilote en 1917, il vole sur chasseur Spad, et sera blessé au-dessus de Verdun. Il participe ensuite aux tout premiers concours de vol à voile organisés en France, en particulier à Combegrasse (Puy de Dôme) en 1922, et à Vauville (Manche), en 1924 et 1925. Ces concours, pendant lesquels Eric Nessler s'illustre brillamment, toujours sur des planeurs de sa conception, permettent d'expérimenter le vol à voile thermique et dynamique.

Il fut le premier moniteur diplômé de vol à voile, et forma ensuite les premiers instructeurs.

Il prit part à l'élaboration et aux essais de planeurs français de performance, en particulier au sein du bureau d'études AVIA, où il assurait, dès 1932, les fonctions de chef pilote et de conseiller technique.

En 1938, il est le premier français titulaire de l'insigne d'orde vol à voile, qui concrétise un vol de plus de 5 heures, un gain d'altitude d'au moins 3000 mètres et un parcours d'au moins 300 km, performances exceptionnelles pour l'époque. Moniteur de pilotage à l'aube de la seconde guerre mondiale, il continue ensuite la pratique du Vol à Voile (toléré par l'occupant) en zone libre, en profitant pour ravir aux Allemands le record du monde de durée : plus de 38 heures, à bord d'un Spalinger S18, du 18 au 20 juin 1942, au centre de La Montagne Noire (Haute Garonne).

En 1947, il s'impose encore au concours international de vol à voile des Etats-Unis, à Wichita, avec un vol de plus de 500 km (le premier dans ce pays) sur un planeur français de type Arsenal Air 100.

Auteur d'une remarquable Histoire du vol à voile, parue en 1947. Titulaire de nombreux records de durée et de distance en planeur, pilote de vol à voile jusqu'au début des années 1970, il décède à Malesherbes (Loiret) en 1976.

Extraits d'archives



Plus de 38 heures, à bord d'un Spalinger S18, du 18 au 20 juin 1942,
au centre de La Montagne Noire (Haute Garonne).


APPENDICE II

L'extrait ci-dessous donne vie à ces mémoires, en donnant quelques détails sur certains épisodes particuliers (coupes de bois, vendanges, montagne...).


Entretien avec Jacques Foucart (Extrait thèse M. Yves Daniou,
Maîtrise d'Histoire Contemporaine- Université de Bordeaux - Année 1999/2000)


Dialogue Daniou - Foucart

(En « italique gras » : Yves Daniou ! - En caractères droits, Jacques Foucart)

Les vendanges à Coursan ?

... Un beau jour, on nous a dit : « Bon, ben vous partez faire les vendanges dans l'Aude, à Coursan. »

Alors on est parti, nous, avec les gamelles et les bidons encore, dans un train... - des wagons à bestiaux - et on est reste en rade pendant 24 heures - même 36 heures - en gare de marchandises de Grenoble. Je pense qu'ils devaient essayer de savoir où on allait nous envoyer, parce qu'en fait on était envoyé par le Ministère de j'sais pas quoi.

Et on est arrivé à Coursan, où... on a été installé... Moi, mon équipe était logée dans une école et les jeunes allaient travailler dans des exploitations, à faire les vendanges. Et tous les dimanches, on faisait une prise d'armes..., un salut aux couleurs sur... une grande avenue de Coursan.

Mais y avait les allemands, à Coursan et... ça leur plaisait pas tellement de nous voir défiler au pas cadencé en chantant et ainsi des uite... On a failli être d'ailleurs tous embarqués et on est parti tangents, à la fin des vendanges et on est retourné dans les Alpes...


- En octobre ?


- Ah non, non, en septembre... oh oui, à la mi-septembre. Les vendanges avaient été précoces cette année-là. Et en fait les gars...avaient bien travaillé...


- Et donc là, il n'était toujours pas question de montagne, en fait ?

- Ah non ! Mais moi j'avais toujours promis qu'on ferait un raid à la fin de la coupe de bois et qu'on irait jusqu'à Chamonix, mais par la montagne. Et moi j'étais redevable de la promesse que j'avais faite, quand même... Elle me tenait à cœur.

Et alors j'ai dit : « Bon ! Ben, c'est fini, on retourne à Doussard, au poil. On va retrouver ce qui nous reste de ravitaillement »,qui était planqué - j'avais été faire un voyage aller-retour à fond de bille pour aller en chercher.


- Vous êtes repartis et arrivés à Grenoble ?


- On nous a dit: « Non, non. Le groupe Honnilh / Foucart... descend et vous êtes affectés à St-Georges-de-Commiers. »

« Qu'est ce qu'on va foutre là-bas ? », je demande au chef de groupe. II me dit : « Ben on va faire une coupe de bois pour le Commissariat Général, pour Grenoble ». Et alors on est arrivé à St Georges-de-Commiers - un bled rétréci, y a juste la route qui passe dedans : « Faut monter là. La coupe de bois est juste un peu plus haut. Vous allez vous installer : il faut monter deux tentes Sarrade et Galtier pour loger les 2 équipes ».

Alors on est arrivé au bout d'une demi-heure de montée... Y'avait deux vagues petits plateaux de chaque côté du chemin - c'était plutôt un torrent, le chemin...

- Et bon, Honnilh me dit : « Quel côté tu prends ? » « Oh moi, je dis, je prends à droite en montant et toi tu prends à gauche ». II me dit: « Oui, d'accord ».Alors on a monté la tente Sarrade pour mon équipe et l'autre tente Sarrade pour l'autre équipe, avec mât aux couleurs et tout le bazar. Et puis on a commencé la coupe de bois deux jours après.

C'était sinistre : un temps dégueulasse, des trombes d'eau, huit jours après notre arrivée... On couchait sous les tentes, les châlits touchaient presque la toile, il flottait à pleins seaux et on vivait avec les lampes à carbure à partir de 6 heures et demie, sept heures le soir.


Point de vue plus technique de Foucart sur ces coupes de bois,
(Extrait thèse Daniou)

...Sur le chantier de coupe de bois précédent, à Doussard, au pied du Mont-Charbon - c'est au bout est du lac d'Annecy - on avait 25 minutes pour monter, une fois qu'on était entraînés, le matin. On redescendait à midi en courant, on remontait à une heure-et-quart et en bas la vie était organisée : vous aviez des roulements, des types qui faisaient la tambouille ; il y avait un des gars, intendant pour le ravito. Mais on avait quand même, si vous voulez, au point de vue ravitaillement un gros avantage dans ces affaires là, parce qu'on travaillait pour le Ministère de l'Air.


Ce qui fait que la coupe de bois était dirigée par un gros marchand de bois... avec des bûcherons qui étaient des italiens, mais des balèzes, ...des bûcherons qui avaient 25, 30 ans de bûcheronnage... parce que les arbres, c'étaient des machins de 25 ou 30 mètres de haut et puis des trucs...qui étaient dans la pente et c'était très acrobatique, c'était très, très dangereux.

Et alors on avait, en fait, ces italiens, qui quand ils nous ont vus arriver... étaient pas du tout contents de voir des jeunes qui y connaissaient rien. Puis finalement, au bout... de 15 jours, 20 jours, ça allait... Ils informaient les jeunes, ils les formaient pour arriver à faire la coupe de bois. Et ça a duré du mois d'avril jusqu'au mois d'août...(1942)



(14) A Courpières (Aude), où quatre équipes du Centre de Saint-Pierre de Rumilly avaient été envoyées de leur côté.