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- Equipe Vincent I -


Ouverture des portes
C'est le Dimanche 2 novembre 1941
que s'ouvre ce journal. Tout autour du chalet une couche de 60 centimètres de neige immaculée recouvre le sol. les arbres croulent sous leur fardeau blanc. L'après-midi et toute la nuit, la neige tombe à gros flocons.
Après souper, le chalet donne sa première soirée de "Variétés". La veillée commence par des chants joyeux accompagnés par les harmonicistes Honilh et Charavin. Au programme : "l'Impromptu du Médecin", où le terrible toubib Carteron trouble la quiétude de Pfeiffer qui prêche en fredonnant "Frou-Frou", il le terrasse littéralement par le seul énoncé de toutes les maladies qu'il lui découvre et dont il se garde bien de le guérir - Le diagnostic ...... ! Les quatre vieux lugubres (Pfeiffer, Pouret, Lemoine et Blanc) voient passer la mort et lui tendent les bras. Brrr ! Quelques chansons gaies terminent la soirée.


Lundi 3 novembre

    La patrouille Lambert monte à la coupe de bois sur le versant en face du chalet. La neige est si profonde qu'i lui faut toute la matinée pour abattre quelques arbres et encore rentre-t-elle trempée. L'après-midi, il s'agit de dégager les panneaux enfouis sous la neige aux baraquements des Espagnols. Ce seront les matériaux qui permettront de construire le hangar pour le bois, et l'écurie pour le "miaule" (c'est comme cela qu'on dit à Entremont)


Mardi 4 novembre

     Une patrouille monte au bois - Il faut que cela barde si on veut avoir chaud cet hiver. Le déjeuner est fixé à 2h ½. Un groupe descend au ravito, l'autre va au hangar. Pendant quelques jours les menuisiers s'affairent à l'aménagement intérieur.


Mercredi 5 novembre

     Une patrouille monte au bois le matin, l'autre le soir - Il faut bien que personne ne s'engourdisse, diable ! Mais voilà qu'il neige à partir de 11 heures, pas suffisamment pour l'empêcher de monter. Décidément, il ne faut pas attendre le dégel avant le printemps prochain, les vaches de la ferme Viallet sont descendues.
Le chef Testot-Ferry devant monter, tous les hommes sont astiqués et en tenue pour le recevoir - Hélas ! Nous devons nous mettre à table sans lui, le mauvais temps lui aurait-il fait peur ?
Serre, le premier a eu une permission et rentre aujourd'hui. Une permission, quelle aubaine ! Mais pas quand c'est pour un grand malheur !. Au repas du soir une minute de silence à été observée à son intention : le pauvre gars vient de prendre femme.


Jeudi 6 novembre

     Il est tombé 5 ou 6 cm de neige. Nous remontons au bois. Mais il n'y a rien à faire pour descendre les billes par le câble : les "bicyclettes" freinent trop, impossible de donner au câble la tension convenable. On décide d'installer un cabestan.


Vendredi 7 novembre

    Le chef Guers et le chef Seguin nous ont quitté hier soir. C'est Honilh qui tient les rènes du commandement. Un groupe monte au bois le matin et remonte le soir. Couttet ayant reçu un télégramme de mauvaises nouvelles de sa mère est parti précipitamment hier soir. Le cabestan est prêt.


Samedi 8 novembre

     Une patrouille montée au bois, fait du bon "boulot". 37 billes ont été descendues au câble. L'après-midi, il s'agit de les descendre. Cette fois, les troncs ne restent pas en en route. Au contraire,
Zzz ... ! Boum ! le pare-choc, un gros tronc vole, menaçant d'arracher tout. En bien le calant, on descend une trentaine de troncs - Mais, les gars, planquez vous ! - Amenez ça au tas, mais de "la belle ouvrage", ôtez-moi ces troncs fichés de travers - Et le tas n'est pas trop mal -


Dimanche 9 novembre

     Le bon plat de navets ! Ô stupeur, il est arrivé à rassasier tout le monde. Il est vrai qu'une bonne partie de l'effectif est descendu à Arêches.


Lundi 10 novembre

     Un groupe monté au bois abat. Attention ! Un tronc arrive droit sur Vallet qui, perdant son sang-froid quelque peu habituel, pousse un cri terrible. Heureusement, pas de mal.
On apprend une vilaine affaire, le plus terrible que la Cour de Justice de Saint-Guérin eut jamais à débattre. Les coupables sont découverts.


Mardi 11 novembre

     L'équipe monte au bois et ne descendra déjeuner qu'à 4 heures. Le chef Guers arrivé ce soir prononce sa sentence : les 5 coupables devront se rendre cette nuit au Planey, remonter ici redescendre à Beaufort et remonter au chalet avec une charge de 20 kg de bois sur le dos. Le chef nous transmet les nouvelles consignes qui leur ont été données à Pralognan : Les jeunes assisteront aux couleurs le soir en tenue (veste et ceinturon). De nouveaux commandements sont fixés : attention pour les couleurs - Paré - Repos (bras croisés) - Personne devant (remplace le rompez).


Mercredi 12 novembre

     La patrouille Lambert monte au bois avec tous les disponibles ; elle ne descend qu'à 3 h ½. Résultat : descente massive de troncs jusqu'au câble. Le sol est jonché de cadavres.
A 11 heures du soir, au milieu d'éclats de voix plutôt joyeux, arrivent 20 types du Planey : sanction prise à la suite d'une disparition de fromage. Si au moins ils avaient apporté chacun 20 kg de bois ! Cela aurait valu la peine.
Arrivée de Keller.


Jeudi 13 novembre

     La 2ème équipe sera piquée à 11 heures ½. Diète jusqu'à 4 heures. Pas d'accident, mais un petit incident : la disparition brusque, autant qu'éphémère, d'un diplomate (Falcoz) (l'horizon politique s'était assombrit). Mutte, le popotier remonte de l'infirmerie


Vendredi 14 novembre

     L'ensemble de l'équipe ayant été piquée la veille, toutes les épaules sont endolories Certains ne sont pas très brillants, n'est-ce pas Serre, Lemoine ? D'autres sont affamés : 50 g de pain au petit-déjeuner, cela ne laisse pas de trou ; 100 g à midi cela passe comme une lettre à la poste ; heureusement que les 150 g du dîner n'ont été distribués que le soir. !


Samedi 15 novembre

     Tout le monde est debout, mais la piqûre de rappel ? C'est dur, Lemoine ! L'équipe coupe du bois sous le hangar. Cela ne gaze pas trop d'un seul bras ! Le jus de navet ne se montre guère à la hauteur comme carburant.
Midi, le premier repas avec de la viande !
Après-midi, laïus du chef Honilh sur le "dérouillement" (officiellement, il faut dire : décrassage)


Dimanche 16 novembre

     Grande journée de repos. Tout l'effectif est au complet au déjeuner (sauf Carteron et Pfeiffer). Causeries diverses, bridge et correspondance occupent.


Lundi 17 novembre

     L'équipe monte au bois sous la direction de Lambert. Le bois à abattre au milieu de la coupe se réduit à zéro. Seul reste "le gros" au sommet. Mais les passes sont trop courts. Le mauvais temps glace tout le monde et l'on doit descendre à 2 heures.


Mardi 18 novembre

     La 1ère équipe est montée au bois, la deuxième fait les travaux du chalet et le "ravito".
La visite du chef Testot-Ferry, attendue depuis si longtemps, est annoncée pour ce soir. En effet, sur le coup de cinq heures du soir, on signale une voiture. Tandis que l'on s'affaire aux derniers nettoyages et que tout le monde s'habille, 2 hommes préparent la chambre du chef qui sera notre Hôte cette nuit.
Descente un peu rapide des couleurs. Puis un bon dîner se prépare à la cuisine. La table des chefs est en effet bien servie : potage, pâtes au gratin, pommes de terre farcies, matefaims. A leur grande désillusion, les pauvres volontaires s'envoient le menu habituel, moins les pluches.
Heureusement le jus de la vigne emplit les quarts et conserve la gaieté générale, chants et bans battent leur plein. Lemoine amuse tout particulièrement le chef "Testot" avec son numéro de danses nègres. Les "quat vieux" et un "vieux chalet" à deux voix n'abattent pas la gaieté et arrivent à point.
Le chef Testoferry nous fait un laïus fumant, mais sans prétention, sur l'aviation d'assaut pour nous situer le rôle du Commandant Grenet, héros de cette guerre et parrain de la 1ère équipe de Saint-Guérin. Il consent enfin à nous faire les récits de quelques uns des "incidents" dont il s'est sorti sain et sauf. C'est tout simple : j'arrache au passage l'aile gauche et le moteur gauche et j'atterris sur le moteur droit.


Mercredi 19 novembre

     Le chef Testot-Ferry rentre à Beaufort. Les quelques types qui descendent avec lui pour aller au "ravito" n'ont guère l'habitude de faire le trajet en auto. La 1ère équipe monte au bois.


Jeudi 20 novembre

     La 2ème équipe monte au bois sous la conduite du chef Seguin. Elle abat un travail formidable. Pendant ce temps le câble, muni de sa corde de rappel et son frein fonctionne à plein .


Vendredi 21 novembre

     La 2ème équipe travaille au câble ; le chef Seguin entraîne la 1ère au bois. Les troncs descendent sans arrêt, le tas monte à vue d'œil, il y en aura bientôt assez pour tout l'hiver. Une épidémie de bobos infectés sévit dans le chalet.


Samedi 22 novembre

     Le travail continue à plein : 1ère équipe au bois toujours sous la conduite du chef Seguin, 2ème équipe au câble.
Mais hélas ! Sur le soir, à l'avant dernier voyage, le cabestan se détraque, il va falloir le réparer. Gallavardin, Barneau et Lapierre sont au lit, sacrée grippe ! Elle ne va tout de même pas décimer le groupe.


Dimanche 23 novembre

     Repos dominical. On isole les malades pour enrayer cette épidémie qui semble menacer le chalet. Sous la direction magistrale de Pfeiffer, se confectionnent pour 4 heures de succulents beignets de pommes ; bravo pour tous les auteurs de ce chef d'œuvre de cuisine. Cirouge descend à Beaufort en charrette conduit par Reboul ; son mauvais panaris l'amène à l'hôpital. Certains en ont connu qui se sont guéris, rassurons nous.


Lundi 24 novembre

     Il y a pas mal de malades de toutes sortes ; de quoi défrayer toute chronique médicale : grippes, coliques, bobos au mains. Pfeiffer au bois, etc ... La 2ème équipe travaille dur au bois.
Le chef Seguin travaille dans le couloir "de gauche" avec quatre "gros durs" . Ils reviennent avec bon appétit, mais apportant de quoi améliorer l'ordinaire : 5 magnifiques truites.
Le soir à la stupéfaction de tous, des phares d'auto viennent illuminer les fenêtres du réfectoire, qu'est-ce ? C'est une camionnette qui nous monte une tonne de raves et une tonne de pommes de terre. Reboul arrive tard avec le mulet qui, faute de carburant, est monté ici péniblement. Martin Lalande, médecin auxiliaire du centre vient visiter les malades, ils sont en bonne voie de guérison. Baldet, dont on ouvre le bras, ne trouve la plaisanterie guère à son goût.


Mardi 25 novembre

     C'est aujourd'hui la 1ère équipe qui monte au bois. Les disponibles, réduits à 6 par les maladies, les servitudes de la maison et les chaussures en réparation descendent à Arêches : il fat ramener du pain et des planches que le pauvre mulet n'a pu monter jusqu'ici. L'état de santé des malades est satisfaisant, mais Reboul s'est joint à eux. Aujourd'hui le chef Seguin est à nouveau monté au bois avec ses quatre acolytes.


Mercredi 26 novembre

     La 2ème équipe au bois. Cette fois, tout le bois est prêt à descendre au câble (sauf un tronc resté pendu à la grosse corde). Le chef Seguin et ses aides fervents - Il faut tout de même me décider à les nommer Vallat, Brun, Boul et Burlet - ont descendu jusqu'au torrent, un énorme tas de bois.
Depuis lundi, une mer de nuages flotte sur le Beaufortain jusqu'à l'altitude d'Arêches ; ici toujours le beau temps. Ce matin le temps avait fraîchi, le sol était profondément gelé. Nous aurons à peine terminé le bois que la neige va arriver. Cela serait "au poil" (c'est tout dire à Saint-Guérin).
Saint-Guérin veille sur son troupeau ! Ce soir, 3 ou 4 gars auraient bien pu manquer à l'appel. Hein Lamy, ce tronc que tu as réceptionné sur la cuisse ; Fouchain, celui avec lequel tu es tombé aurait bien pu te réduire la tête en un mince sandvich ; Falque, ce parpaing qui t'a arraché la hache des mains... et vous tous qui avez vu dégringoler les cailloux tout près de vos figures. Saint Guérin ! - Meuh ! ... (ter)


Jeudi 27 novembre

     Le chef Guers et le chef Seguin descendent à Beaufort. Un certain nombre de types (15) pris parmi les disponibles des 2 équipes montent au bois. Tout est débité et descendu au dessus du câble. Reste une journée de boulot pour tout ranger à côté du câble et au bord du torrent. La provision de bois est au complet. Nous n'aurons pas froid cet hiver.


Vendredi 28 novembre

     La 1ère équipe est partie pour une "exploration" régionale en Tarentaise. La 2ème équipe range le bois à coté du câble, coupe une énorme bille dans le bas du couloir. Le "chef Seguin", Pfeiffer et Pourret sont partis en permission.


Samedi 29 novembre

     Le chalet est tranquille avec son effectif réduit. On termine le rangement du bois au sommet du câble. De plus en plus de malades : Carteron, Blanc viennent grossir leurs rangs.


Dimanche 30 novembre

     La 1ère équipe revient, enchantée de son "exploration" à la Cote d'Aime et de sa ballade de retour par le col du Bresson. Le temps se maintient au beau, nous partons demain.

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