Les Centres du Col de La Morte : septembre 1940 - mai 1941

par René Méjean
Installation, premiers contacts avec les "planches"

En Oisans, dès septembre 1940, ont été constitués plusieurs embryons de centre Un de ces centres a été créé à l’Alpe d’Huez, avec Arpurt comme chef, les deux autres à La Morte en Isère, l’un le centre C1 dans le chalet Coutanceix et l'autre le C2 dans l'hôtel du Grand Serre, les deux organismes sous la responsabilité d’un chef du groupement le capitaine Desclers.


Quelques morceaux choisis


I - Les 2 Centres du Col de La Morte


Le premier centre, installé au chalet Coutençais, était commandé par Philippe Da, avec un nombreux encadrement de chefs de groupe et d’équipes, presque tous officiers navigants de Armée de l’Air. La partie Montagne était confiée à Jules Carrel, guide de haute montagne de La Bérarde


L’autre centre était installé dans le vaste bâtiment de l’hôtel du Grand Serre, sous la responsabilité du capitaine Schneider, avec autant de cadres, l’ensemble, constituant le futur embryon de groupement de l’Oisans, bientôt transféré en Champsaur.


Durant l'hiver 1940-1941, tout le personnel participait aux leçons journalières de ski sorties de montées, à peaux de phoque, à quelque scourses en montagne dont le Taillefer (2857 m), à l’est et le Grand Serre (2141 m), à l’ouest, qui dominaient le hameau - station de ski - de La Morte (1360 m), et à partir du refuge du Villard d’Arènes, vers la Grande Ruine en Oisans, 3750 m) et le Col du Clos des Cavales (3050 m).


Mais LA grande activité consistait en le déneigement de la route qui descendait sur Séchilienne, dans la vallée de la Romanche, vers Grenoble. Car, cet hiver là, il tomba beaucoup de neige et il y en avait souvent plus d'un mètre cinquante sur plusieurs kilomètres. II fallait bien que le ravitaillement arrive !


A la fonte des neiges, il fut question de quitter La Morte car ces lieux d'hébergement touristiques ne correspondaient pas à ce que voulait être "Jeunesse et Montagne ", une réunion de jeunes anéantis par nos revers militaires qui voulaient retrouver la foi dans les destinées de leur pays et non pas être logés en hôtel et se contenter de faire du ski et de la montagne. Une chanson avait été créée par Henri Canetto, qui disait : "Nous serons forts, nous voulons la revanche, mais pour l'avoir, il faut savoir lutter etc...»


Une loi du 15 janvier 1941 institua un service national, à effectuer dans une nouvelle structure, les Chantiers de Jeunesse ou Jeunesse et Marine, services auxquels les jeunes Français de la zone libre (classes 41 et suivantes) seraient astreints pendant huit mois, Jeunesse et Montagne restait sous sa propre direction, indépendante de celle des Chantiers, mais où des volontaires pourraient postuler au titre de ce service national.



II - Conditions de fonctionnement, statut des cadres, première aventure !


De nombreux articles ont été consacrés au centre dela Herverie de Saint Etienne en Dévoluy. Aucun n'a cependant abordé la constitution de ce centre, dès septembre 1940, à La Morte (Oisans), au col du même nom, à l'aplomb de Séchilienne, ni les actions de résistance, sous la conduite de Leininger, après que, le 31 janvier 1944, les Allemands aient exigé la dissolution de J.M et la libération anticipée de tous les volontaires.


André Cardot, chef de groupe, et moi-même avons vécu la vie à La Morte. André a vécu toute la suite et, bien sûr, la période d'engagement de résistance armée, en 1944.

J’avais demandé à André de rassembler ses souvenirset d'écrire toute l'histoire, en insistant sur les périodes inédites de début et de fin. J'ai complété certains points d'après mes propres souvenirs de mon temps de chef de groupe à La Morte et de chef de centre à Saint-Etienne-en-Dévoluy.


J'ai ajouté toute la précision des lettres longues, précises, constantes, écrites à celle qui était ma fiancée. J’avais une bonne illustration photographique.

Ainsi revivront quelques acteurs de l'époque, tels Da, mon cher chef de centre, que j’ai remplacéà Saint-Etienne, Jules Carrel, remarquable alpiniste et moniteur, Raymond Leininger, prestigieux montagnard, Charles de Prémorel, "seigneur" de l'Enclus, Robveille , mon petit co de saint-Cyr, Malipier et sa pipe, Matussière, héritier des papeteries du même nom, Claverie, Cretton, le moniteur chamoniard, de Boutray, Château, Maurice, Bastien et bien d'autres.


Surtout une pierre sera ajoutée au mémorial de J.M., avant qu'il ne soit trop tard. Un grand merci à André Cardot. Un grand hommage aussi à Roger Goudin, cet inconditionnel de JM, photographe de métier, pour ses innombrables clichés, témoignages "Dévoluards" et illustrations de tant d'articles.

René Méjean


Affecté à JM en fin novembre 1940, je donne beaucoup de détails sur ce que les chefs, au P.C. de Grenoble m’ont dit, à mon arrivée : c’est une affaire entièrement civile, il faut être volontaire pour faire un stage d’une durée de six mois, pour l’instant et ce, au titre du ministère de la Jeunesse.

Quant aux cadres, comme moi, venant en majorité de l’Armée de l’Air, ils sont obligés de donner leur démission de l’active et de prendre un congé d’armistice, formule largement utilisée, déjà, par beaucoup d’anciens cadres d’active, voulant faire autre chose, en attendant. Ce qui n’empêchait pas de pouvoir être rappelé en activité dans l’aviation d’armistice sur demande personnelle ou par le ministère, selon les besoins.

Cette formule de congé, impérative, et je cite l’expression de : « m’a-t-on dit, c’est du camouflage vis-à-vis des Allemands ». Solde de 1 800 F au lieu de 3000, en activité. Mais les dépenses sont quasi nulles en montagne. L’équipement est fourni. A La Morte nous sommes logés en hôtel et vivons en popote.


Ordre d’aller dépanner un camion : étonnant contact avec le ski ! Je raconte que la veille au soir, à La Mure où j’attends le marchand de lait qui monte à La Morte et me prendra pour rejoindre, est arrivé le chef qui commande l’ensemble de La Morte (c’est un capitaine aviateur, du nom de Desclers), et il nous a rejoints au restaurant. Il est descendu avec sa voiture, une Peugeot 202, avec plusieurs chefs d’équipe comme nous et bien sûr, il attend que le chasse-neige ait dégagé la route pour remonter.


Le lendemain, je le croise à l’hôtel et sans me demander si j’ai pris ma collation du matin, m’emmène charger sa voiture tant et si bien que j’ai petit-déjeuné à 11 heures.

, Robveille et moi, jusqu’à un camion de La Morte qui a glissé sur le fossé où il s’était un peu engagé dans sa glissade et est en panne ! Nous décidons de faire les dix kilomètres de montée en ski, dont je ne connais rien, n’ayant jamais chaussé !!!


De La Mure au petit village de Nantes-en-Ratier, le chemin monte régulièrement, pas de descente : allez ! Nous avançons au pas. Au début, j’emmêlais mes spatules et je bûchais un peu. Puis c’est allé.A Nantes, nous trouvons les chevaux et le chasse-neige, qui s’ébranlent en mêmetemps que nous entamons la montée sur un kilomètre d’un petit col puis petite descente pour atteindre le fond de vallée qui conduit à La Morte. Là, nous avions près de cinq kilomètres et ça montait et c’était très fatigant.


Le camion était à 200 mètres avant un second petit col, au bord du fossé engoncé dans le monticule de neige amassé, en bordure de chemin.

Nous sommes arrivés là-haut vers quatre heures et déjà le brouillard arrivait et le soleil descendait. Les chevaux et le chasse-neige étaient allés faire demi-tour à La Valette, un village à un ou deux kilomètres de l’autre côté du petit col, en amont du camion. En attendant, en aval, nous avons rechaussé et avons fait des descentes et remontées.


C’était merveilleux : là où le chasse-neige était passé, la neige était tôlée et on s’est payé des descentes vertigineuses, suivies de chutes retentissantes. Et allez !

Je me jetais dans la neige molle, sur le bord de la route. Ainsi, nous avions plus que chaud malgré la température au dessous de zéro.


Enfin, vers cinq heures, les chevaux reviennent mais impossible de tirer le camion hors de sa position. Il faisait déjà nuit et nous décidons de redescendre à La Mure. Heureusement, la lune se levait, déjà presque pleine, et sur la neige, on y voyait merveilleusement.

Alors, dans les cinq kilomètres de descente rapide sur Nantes-en-Ratier, nous avons fait une course formidable, en compagnie des huit autres copains qui étaient déjà, avant nous deux, au camion. Je voyais bien la route tracée par le chasse-neige mais ne distinguais pas les endroits où il y avait un dévers qui penchait vers un des bords. Il aurait fallu se pencher de côté pour que les skis ne dérapent pas ! Et ça, ça en a entrainé des chutes !


Nous n’avons mis que vingt-cinq minutes pour faire les cinq kilomètres et redescendre. Je n’ai pas compté les chutes, mais c’était merveilleux. Penché en avant, les bâtons en l’air, nous descendions de plus en plus vite, sur la neige glacée, jusqu’au moment où les skis butaient ou s’emmêlaient, et alors ! Allez ! Dans la neige du bord de route ! Je rigolais tout seul ! On ne se faisait pas mal : seulement on se relevait, enduit de neige, qui colle sur vous ! Je n’avais que ma chemise et un tricot, sous l’anorak en soie, et il gelait, et pourtant je transpirais ; je n’avais pas de gants et j’avais les mains brûlantes ! Enfin, on est arrivés à Nantes et, de Nantes à La Mure, c’était plus calme.


Le lendemain, un tracteur de Jeunesse et Montagne devait arriver de Grenoble pour dépanner le camion, toujours là-haut dans son fossé. Au retour, je dois descendre, avec le camion dépanné, à Grenoble, chercher les provisions qu’il devait prendre et remonter à La Morte par la vallée du Drac et Séchilienne.

Finalement, la mission ne se fera pas. Je raconte que le camion, et pas le tracteur, est bien arrivé deux jours après, vers dix heures du matin. Entretemps, nous sommes allés, Robveille et moi, acheter le matériel adéquat, pelles, chaînes, etc... pour le dépannage.


Après le repas, pris tôt, nous sommes montés et avons mis tout l’après-midi pour tirer le camion de son mauvais pas ; travail à la pelle et à la pioche. Une fois sur la route, il fallut le tirer encore, jusqu’au col et peut-être jusqu’à La Morte mais le camion tracteur patinait trop sur la route gelée et le pauvre camion est encore resté sur place en attendant.

On est donc redescendu à La Mure et on est revenu au camion, l'après-midi du lendemain, et par grand soleil et belle neige au sol, le travail a été vite fait. J’ai pris des photos. Le camion a pu repartir vers sa destinée sans moi...

Car, je raconte que, vers six heures du soir, à La Mure, j’allais contacter le fameux laitier qui monte à La Morte tous les jours,savoir s’il pouvait me prendre en charge. Ce qui fut le cas, le lendemain, 19, à sept heures, et je quittais, enfin, La Mure après un séjour de plus d’une semaine !


Je suis monté, installé à l’arrière, au milieu des bidons, en plein air. J’écris :

« Il ne faisait réellement pas chaud ! Le jour s’est levé petit à petit, je n’avais pas trop froid, cela allait ; j’ai pu ainsi admirer un lever de soleil en montagne, c’était superbe. Et vers neuf heures, ce matin, j’étais à La Morte. »



III - Conditions de vie, les cadres, chef d’équipe !

On m’affecte au centre C1, il n’y a aucun nom de baptême, dans ce qui vient d’être monté en catastrophe, il y a à peine trois mois. Le chef de Centre est un lieutenant pilote, Philippe Da, issu de l’Ecole de l’Air de quelques promotions avant moi. Je fais sa connaissance le soir, à son retour de Chamonix où il était en stage de formation de chef, avec Emile Allais et les grands guides et moniteurs de haute montagne, tous affectés à Jeunesse et Montagne comme moniteurs techniques. C’est donc du sérieux ! Nous le constaterons bientôt.


Je raconte l’installation, le repas de midi, tous ensemble et, toujours, mention de cette nourriture extraordinaire avec, même, « pommes de terre sautées et lentilles, gruyère et dattes. Les gens se plaignent pourtant et disent que le ravitaillement fait défaut ». Je m’installe à l’hôtel du Grand Serre, dans une chambre individuelle, avec chauffage central, eau chaude et tout le confort. Je vais chercher ma paire de skis et tout le nécessaire, car dès demain, commencent, pour moi, et continuent, pour les autres, les cours journaliers. Et, aussi, « bis répétita non placent » je suis allé sortir de sa gangue de neige, un camion, enseveli, en panne, dans la fin de montée, sur la route de Séchilienne, vers le nord de notre hameau.


Je décris la beauté de ce lieu, juste à cheval sur un col assez étroit, mais aux pentes douces, sur un simple méplat d’à peine deux kilomètres, au sommet des deux vallées de La Mure, au sud et de Séchilienne, au nord.

Vue élargie sur plusieurs réseaux de massifs, celuidu Taillefer, qui est le pilier, à l’est du col, et celui du Grand Serre, à l’ouest, de l’Armet, en retrait, au sud, au-delà du virage de la vallée « du camion !», vers La Mure.et encore le Tabor, tous sommets entre 2 500 et 3 000 mètres.


Les pentes sont douces, aux abords du petit hameau de quelques maisons et d’un Grand hôtel de cette station de basse altitude(1 358 m), à 25 km de Grenoble et déjà dotée, dans ces années d’avant-guerre, d’un remonte-pente, arrêté, bien sûr. Nous serons les hôtes nombreux et assidus de ces pentes, de début d’apprentissage pour la majorité d’entre nous. Et, je le souligne : « On a l’impression que le mouvement est très provisoire et qu’il a été monté pour faire suite à des décisions très rapides pour camoufler des gens de l’Armée de l’Air. L’atmosphère est d’ailleurs très sympathique entre des gens du même milieu : chefs très gentils et si jeunes, moniteurs de ski au poil, et réputés. »


J’ajoute : « En ce moment, je ne puis avoir d’équipe car il y a trop de chefs d’équipes. Peut-être vais–je être adjoint au chef de centre Da, ce qui serait parfait ! » Le lendemain 20 décembre, je parle de mes skis qui seront ajustés ce soir, de la mairie, du lieu où je suis allé chercher une carte d’alimentation, de l’aide apportée à déblayer la neige. Je décris ma chambre, petite, de 2 m 50 sur 4 de long, chambre de station de sports d’hiver !

Je précise aussi que je remplace un chef d’équipe parti en permission : vingt garçons, anciens soldats de l’armée de l’air, venus à J.M. parce qu’ils ne peuvent rentrer chez eux, dans le Nord, en zone interdite par les Allemands. Ils sont très chics et il suffit d’être, avec eux, comme un chef scout !

L’activité sportive et l’apprentissage du ski facilitent les choses, bien sûr !


Une équipe et des projets à La Morte !

A mon chef de centre, Philippe Da, je fais part de mon désir d’être auprès de ma fiancée pour Noël. Il comprend très bien. Mais il me fait comprendre qu’il est de notre devoir de passer Noël avec les gars des équipes qui ne peuvent pas rentrer chez eux, même pour une permission, pour les fêtes. Je le comprends très bien et repousse donc, de grand cœur, à plus tard ma permission.


Puis je parle de mon investissement avec mon équipe dont je dis avoir, avec les gars, eu une réunion, l’après-midi, puis une veillée en soirée. Je précise ma joie d’une telle situation :

« Je suis très heureux, car c’est réellement très bien de travailler ainsi : c’est la vie scoute ! Nous mangeons avec eux, dans la même salle, mais entre chefs, cependant. Ce qui est normal, pour ne pas les gêner dans leur moment de liberté. J’ai des gars remarquables, tous soldats démobilisés de l’Armée de l’Air, toujours prêts à bien faire et volontaires ! Je vais me mettre au travail avec eux, apprendre à les connaître, à les aider, si nécessaire, à les encourager si c’est possible ! Il faut organiser des séances de loisirs, car l’épaisse couche de neige pousse à l’inaction. A part la coupe de bois pour l’hiver mais cela a été fait, avant les neiges. La seule occupation sera le ski, tout à fait nécessaire, mais par suite de pénurie, il n’y a de skis que pour une équipe sur deux et donc une demi-journée, à occuper à autre chose !
Après le repas du soir pris et expédié, dès 18 heures, il faut bien occuper aussi la soirée. Alors, préparer des veillées de conférences ou causeries. Moi, je pourrais me charger d’Histoire, de Géographie, de Maths, aussi !!
»


IV – Le ski (école et balades), le ravitaillement et la vie en montagne dans l’hiver 1941 implacable !!!

Je parle des skis dont je découvre tout, bien sûr. « Moi j’ai ma paire personnelle. Il m’a bien fallu deux heures pour les préparer, passer trois couches de « laque spéciale » puis « farter », c'est-à-dire déposer une espèce d’enduit goudronneux qui permet la glisse et protège en même temps le bois. Il faut le passer en appuyant et en frottant la sole du ski avec la paume de la main et le pouce ! Résultat : deux ampoules, l’une au médius, une à la paume ! Et puis régler les fixations et c’est du travail en finesse. C’est tout un art ! »


Finalement, le ski, c’est le but à atteindre ici. On en fait, en école, toute la journée, à une centaine, tous étagés sur les douces pentes, au-dessus des habitats. Il y a cinq ou six équipes ensemble, mais travaillant chacune, sous la direction du moniteur affecté à l’équipe. Chacun dévale, à son tour, sur ordre de départ et avec les conseils hurlés de ce dernier. Une centaine de mètres de dénivelé. Arrêt comme on peut, en bas et remontée en canard, hors du champ de descente. Et, ainsi de suite, pendant trois heures, par groupe de dix à douze, ce qui permet de récupérer. Une vraie fourmilière. « Pour moi, je m’applique. Mes débuts à La Mure, puis ici, j’en acquiers les principes essentiels, mais ma taille me gêne un peu. Je crois cependant que cela viendra vite. Je ne suis absolument pas le seul, dans mon cas : très peu savent skier ! La température habituelle est inférieure à zéro et nous sommes dans les meilleures conditions. »


Sur un autre plan, j’écris : « Ce qui me fait aussi plaisir, c’est qu’ici, c’est très différent de l’armée ! » Je parle moralement ; ainsi, plus de ces chansons souvent grivoises -sinon obscènes- des Ecoles de l’armée. Mais des chants de montagnards ou scouts, exaltant le courage, la vie difficile. Moi-même, j’ai donné comme chant à mon équipe, le bien connu : « Equipiers, la vie est belle, malgré les peines … !»


Le 10 janvier, montée en raid, au Grand Serre, le sommet arrondi et pas très haut qui domine le col de La Morte, à l’Ouest.

J’en décris la montée : « Il y a des pentes neigeuses jusqu’au sommet et de là-haut, c’est superbe : il faisait beau et les lointains étaient dégagés, les montagnes étincelaient sous le soleil. A nos pieds, tout au fond, nous dominions toute la vallée de la Romanche avec Vizille, Uriage et puis au loin, l’immense vallée de l’Isère, avec Grenoble, encrassée de fumées, et les majestueux massifs de Belledonne, juste en face, et de l’autre côté, au loin, celui de la Grande Chartreuse. Sous nos pieds, la neige, en tapis, était croûteuse et étincelait de ses myriades de cristaux. Un vent froid nous pinçait un peu, mais le bon soleil, déjàhaut, nous réchauffait en proportion. Nous avons fait quelques descentes modestes mais aussi beaucoup de descentes rapides plus difficiles. J’ai beaucoup chuté et pas le seul ! En arrivant, j’étais trempé. »


On remet ça, 2 jours plus tard, à trois, en après midi. Montée calme et une longue station à dominer encore ce merveilleux paysage sur 360° d’horizon, même si de la brume nous cachait les fonds de vallée. Nous redescendons « à toute vitesse », comme précisé dans une lettre.


Toutes les lettres de janvier, décrivent cet univers clos de ce col toujours brouillardeux, par cet hiver si froid, sans moyens autres qu’une paire de ski pour deux volontaires, et traduisent un immense spleen, dans l’inactivité, et sans précisions sur l’avenir proche.

On peut y lire : « La vie coule, passe indifférente, faite de matins et de soirs, sans joie, sans tristesse non plus, monotone ! » Toujours régulièrement du ski et maintenant des parcours de fond, en poussant fort sur les bâtons, de la spiritualité dans les lettres, longues, refuges de l’âme et du cœur.


Ravitaillement aussi, obsédant, sur Séchilienne… et des jeunes exténués.

« A pied, on part sans pouvoir utiliser les mulets car il neige en haut et la pluie à mi-parcours interdit la poursuite du voyage en traîneau. Lorsque nous sommes arrivés en bas à Séchilienne, après deux heures de route, nous étions trempés jusqu’aux os, de la pluie et de la transpiration qui heureusement nous empêchait de prendre froid. Pour remonter, je me mets serre file, je laisse les jeunes prendre de l’avance et je ne pars qu’un peu plus tard. Eux, ils ont préféré monter par la route et, à mi chemin, il y a un petit café, minuscule halte. Ils avaient peu mangé en bas et s’y arrêtent un bon petit temps. Moi je pensais être en retard sur eux et j’ai pris les raccourcis en en bavant pas mal : une vraie soupe et un hammam permanent, c’était une drôle d’impression. A l’arrivée à la Morte, pas de gars. Ils arrivèrent plus tard : entre le peu de nourriture, la longueur du trajet et la fatigue accumulée, les derniers étaient littéralement transis, exténués, incapables de faire un pas de plus ! »

Ceci pour illustrer la rudesse de notre vie, le dépassement de soi nécessaire pour, souvent, simplement n’assumer que la vie quotidienne.

Le temps contrarie d’ailleurs aussi les courriers qui se bloquent à la poste de Lavaldens, le village entre La Morte et La Mure, où plus rien ne continue.


Les conditions hivernales empirent et le 7 février : « Tout est dur et compliqué ; c’est fou ce qu’il y a de neige et le vent violent accumule tout en congères, et au moins deux mètres de neige, en moyenne. Il fallait bien ravitailler et on a pensé prendre le camion précédé du chasse neige. Mais il faut faire la trace même pour le chasse neige, au moins sur deux kilomètres, avant la descente, où la route est moins encombrée. De huit heures à midi, à dix ou quinze, nous avons manié la pelle à travers les congères : travail énorme d’autant qu’à midi, nouvelles bourrasques par vent violent du Nord. L’après midi, ce furent 500 kg de charbon à transporter du Grand Serre, où il était entreposé, à notre chalet des chefs sur 400 mètres. Ceci sur un traîneau que nous tirions à huit ou dix, avec la neige qui tombait dru et serré et le vent qui coupait la figure ! Finalement, le camion et le chasse-neige ont pu descendre et remonter de Séchilienne, mais le lendemain, il a fallu tout transvaser du garage jusqu’à l’hôtel du Grand Serre, à dos de mulet sur huit cents mètres et leur ouvrir la trace à travers les congères de souvent plus de 2 mètres de haut ! il y en a pour quelques jours et on en a vraiment assez. »


Et puis, le 10 février : « brouillard épais le matin et puis brusquement, vers 11 h le brouillard a disparu, la brume s’est déchirée, laissant le soleil maître de toute la journée. C’était un enchantement ce beau temps, ce ciel bleu, ce soleil chaud, cet air sec et pur. De quoi nous décider, le docteur, un moniteur et un autre chef de partir à quatre et d’aller chausser. Nous montons, montons, heureux de nous sentir libres, jeunes. Montée, un enchantement : longue trace sur une neige fine, superbe et puis la forêt ; les pins laissaient s’exhaler leur parfum et au-dessus on voyait le ciel d’un bleu intense. Nous sommes encore montés, montés et arrivés à une clairière toute blanche de neige fine, la vue dominait la vallée du Drac, on voyait Grenoble tout au loin, tout au fond. Et le Vercors et la Grande Chartreuse, Belledonne et plus près les sommets de l’Oisans, Taillefer, Thabor etc. J’ai compris que la montagne pouvait prendre entièrement des hommes, les fasciner par sa beauté. J’ai compris ceux qui peuvent vivre seuls avec elle, et sentir que la montagne pouvait appeler. Nous étions heureux de cette paix, de cette liberté, de cette solitude, de cette paix et de ce calme. Le retour a balayé tout ce beau tableau : le soleil déclinait vite, il fallait faire attention à la descente, ce n’était plus pareil ! »