Les Centres du Col de La Morte : septembre 1940 - mai 1941

par René Méjean


V – Et les raids en montagne, en fin d’hiver 1941 !!


- Ascension du Taillefer -

Le samedi 22 mars, ce sera l’ascension du Taillefer, sommet de l’Oisans donc, situé bordant à l’Ouest le massif de la Meije et des Ecrins. Départ à 7 h 30 du matin,par ciel très bleu, pas très froid. Montée longue et parfois nécessité des peaux de phoque pour les passages les plus raides. Sommet à 2 900 mètres atteint à 11 h.


Et là, je décris le magnifique paysage sous nos yeux par ce temps limpide, du haut de ce belvédère dégagé de tout écran gênant alentour :

« On voyait, au nord-ouest, toute la chaîne de Belledonne, qui borde la vallée du Grésivaudan de Grenoble à Chambéry. Puis, vers le Nord, le massif des Rousses et en suivant nord nord-est, et plus loin, les Aiguilles d’Arves si caractéristiques avec leurs trois dents inclinées, puis le Galibier, deviné en contre bas des Aiguilles. Bien sûr tout près du même côté de la vallée de la Romanche, tout l’Oisans, la Meije et ses différentes aiguilles et sommets, plus à l’Est,le massif des Ecrins pilier central de l’Oisans et ses 4 100 mètres, d’où rayonnent sur cinq arcs divergents les sommets de l’arête de Roche Faurio, de celle du Pelvoux, etvers le sud-est et sud, le Sirac, les Rouies et les Bans puis le Valgaudemar et le pic d’Olan Sans compter jusqu’au Massif Central et, bien sûr, très au nord-est le massif majeur, celui du Mont Blanc. »

Bref un tour de ciel magnifique par une visibilité exceptionnelle. Repas, puis descente agréable dans la neige du haut devenant soupe dans les bas et sujette à de nombreuses chutes avec les skis enfoncés et incapables d’obéir aux injonctions de virage. »


Le raid Col du Clos des Cavales et Pointe Brevoort de la Grande Ruine.

Pour le 24, un lundi, il est mention d’une longue course de cinq jours. Les préparatifs s’en font la veille, un dimanche : « Demain, une vingtaine, parmi les meilleurs skieurs couronnent leur sélection par un beau raid en Oisans. »

A pied pour Séchilienne et le train jusqu’à Bourg d’Oisans, ce n’est pas loin. De là, le car pour aller à La Grave et par nos propres moyens, atteindre le Pied du Col (1718 m) puis enfin, après 2 h de marche le long dela haute Romanche, le refuge de l'Alpe du Villard d'Arène (25 places), où nous devions passer trois nuits à 2077 m d'altitude. Prélude pour deux ascensions entre massif de la Meije au pied duquel se trouve notre refuge et celui des Ecrins, en plein Oisans donc.[…] Nous emportons tout notre ravitaillement sur le dos […]

« Ce soir, le moniteur et moi avons fait la répartition des vivres à emporter et la vérification des sacs, ce sont de vraies montagnes ; nous partirons à 4 h 30 car le sentier est glissant et il fera nuit nous n’irons pas vite et j’emporte ta lampe électrique ! »


Nuitée au Refuge du Villard d’Arènes - 2096 m -

Je passe sur la montée jusqu’au refuge, évoquée plus haut et sans originalité. Détail : « …grâce à ta lampe électrique, je ne suis tombé qu’une fois au lieu des 10 vraisemblables sans éclairage (ceci, pour descendre de La Morte au départ) ! »

Nous voilà au refuge, à 2096 m, vers 18 h et pas mal fatigués avec cette longue journée, marches et dénivelés et nos énormes sacs de 20 kg. Feu, pâtes, repas congru et énorme problème de couchage pour 21 gars dans une coquille de noix. 18 se sont tassés sur les matelas ad-hoc mais à partager à deux, en fond de chalet, sur deux étages ! Le chef, Philippe Da, sur le traîneaude secours médical et moi, sur la table, sur un matelas, un jeune sur un banc ! Moi j’avais de la place et j’ai bien dormi mais les autres serrés comme des sardines, ce ne fut pas le rêve ! »

- Le raid au col du Clos des Cavales -

Mardi 25, montée au Col du Clos des Cavales (3364 m), entre Meije et Grande Ruine, le col permettant l’accès vers La Bérarde etSaint-Christophe-en-Oisans, cœur des vallées du massif du même nom !

Col du Clos des Cavales (3364 m) entre Meije et Grande ruine.

Montée longue, rude, mais nous avons si bien marché que le guide en était stupéfait ! Un vent froid nous a accueillis et nous sommes redescendus de quelques mètres pour le repas ! Puis ce fut la longue descente de 1000 mètres de dénivelé. Je me suis senti très à l’aise comme les autres pour cette nouvelle et vraie course de haute montagne. Arrivée dès 14 h, au refuge, beau temps, pas de vent et suffisamment bon pour se laver torse nu dans la Romanche.

Deuxième nuit meilleure pour les gars. En fait, il devait y avoir sept à huit volontaires et le reste les et les chefs Da, Matussière, Robveille, Malipier.


- L’ascension de la Pointe Brevoort de la Grande Ruine -

Le lendemain, mercredi 26, autre chose fut l'ascension, skis aux pieds, de la pointe Brevoort, du nom de miss Brevoort qui, en 1873, fut la première, avec ses guides et sa chienne, à atteindre cette pointe culminante de la Grande Ruine. Nous étions une vingtaine. En dehors des moniteurs, Carrel, Amieux, Favre, et de Claverie et de Matussière, montagnards avertis, le reste était constitué de Da, bon skieur, et de récents chefs de groupe ou d'équipe, Cardot, Malipier, Robveille, Lebrun, de Boutray, et moi et de quelques volontaires, comme Berullier, Chalon, Gasset, Lamboley, Muret, Testemale, Welbacher etc...


Levés avec l'aube, vers six heures, et départ, skis aux pieds, nous nous acheminons rapidement vers le vallon des sources de la Romanche puis attaquons le très vaste glacier de la Plate des Agneaux, le remontons sur toute sa longueur et le quittons pour continuer, dans une direction sud-ouest, en nous hissant, peaux de phoque ajustées, dans la pente qui se raidit, sous un bombé parfois crevassé en suivant toujours l'écoulement d'une branche du glacier. Vers 3300 m, nous laissons, sur la gauche, le Col des Neiges (3348 m) puis enroulons la trajectoire vers le nord- ouest.

La Pointe Brevoort de la Grande Ruine, la plus haute (sous la brume),
Vue de l’ouest, côté La Bérarde. Elle est d’accès plus facile sur côté est

Au terme de 1100 m de dénivelé depuis le refuge de l'Alpe, on arrive alors sur un méplat où une femme, encore, Adèle Planchard légua sa fortune pour y bâtir un refuge, ponctuant l’itinéraire, à 3 169 m, et lui donnant son nom. Le petit bâtiment est fermé mais sur son parvis, après plus de quatre heures de montée, nous faisons une halte réparatrice. Le soleil darde et nous pouvons retirer nos anoraks et rester quasiment bras nus, dans le calme sans vent de cette fin de matinée.

Nous cassons une bonne croûte, avant de continuer et nous retrouver sur la petite branche dite Supérieurdu glacier de la Plate des Agneaux, pour une heure encore et les derniers 800 m de dénivelé, en file indienne, sous l'austère col du Diable (3565 m). Une dernière pente de neige nous mène à la rimaye située au pied de la facette est. Nous déchaussons et plantons nosskis juste après avoir franchi la crevasse, traversons sur la gauche jusqu'aux premiers rochers de l'arête descendant du sommet. Nous contournons ces rochers par quelques pas dans du terrain mixte. On se retrouve à l'entrée d'un petit couloir dérobé qui, par sa remontée, permet de rejoindre facilement l'arête de neige finale puis le sommet, la Pointe Brevoort de la Grande Ruine.


Personne ne resta insensible au soleil éclairant le panorama splendide s'offrant sur tout l'Oisans, puis s'étendant, au-delà, â perte de vue, dans toutes les directions.

Au nord, à le toucher, le massif de la Meije

De Roche Faurio part, vers le nord, la quatrième arête qui, par la Tête de Charrière, vient passer à la Grande Ruine, pour, de là, s'abaisser au col du Clos des Cavales puis s'élever, pour donner naissance au Pavé et de là, constituer, en s'incurvant vers l'ouest, toute l'arête si aigue des différents pics et sommets de la Meije, puis du Râteau.


De ses nombreuses brèches,la première, la Brèche de la Meije (3430 m) se situe entre le Râteau et le Grand Doigt (3761 m), puis, successivement d'ouest en est, le Grand Pic, culminant à 3982 m, puis le Pic Central, la Meije Orientale, le Pavé et enfin le Pic Gaspard, tous autour des 3900. Au dessus de la Meije la vue s'étend jusqu'au Mont Blanc dont la masse est très distincte au loin.




Au sud, la magnifique conque des imposants Ecrins, on peut presque toucher, Dôme de Neige (4015 m) et Barre (4101 m), les seuls 4000 d'Oisans. Au dessous de la longue arête sommitale, cette vaste étendue rayonne de toute la blancheur des premiers arpents de neige du très long et puissant glacier Blanc. Ce très imposant ensemble constitue l'origine et le centre géographique de quatre chaînes ou arêtes rayonnantes de tous les 3600/3900 m de moyenne des sommets d'Oisans.

        
Le dôme des Ecrins (4100 m) et sur photo de droite, au fond, Le Pelvoux

Sur la première arête, s'initiant en arrière et à droite du Dôme, s'éloignant vers le sud ouest, successivement s'élèvent le belvédèredu Pic Coolidge et de sa Pointe, puis la dentelle des trois Têtes de la crête de l'Ailefroide. En prolongement plus lointain, au sud, vers le Valgaudemar, émergent, les Bans, le Sirac,, les Rouies, le Gioberney, l'Olan.


De l'Ailefroide, vers l'est, au flanc sud de l'invisible glacier Noir, diverge la seconde arête de la chaîne, un peu masquée, celle du massif du Pelvoux, avec bien campés et émergeant, le Pic sans Nom, les Pointes Puiseux et Durand, les trois Dents et le Pelvoux lui-même.

Dôme des Ecrins (4010 m) et le Glacier Blanc et toute l’Ailefroide

En avant, à gauche et en léger contrebas de la Barre des Ecrins, cachant la longue vallée du glacier Blanc sur son flanc nord, la troisième longue arête, d'altitude décroissante, orientée à l'est, avec successivementles trois sommets de la crête de la Roche Faurio, puis le Pic de Neige Cordier, la montagne des Agneaux, le Dôme de Monétier, surplombant notre refuge de l'Alpe du Villard. Au loin vers le sud est, le mont Viso et les Alpes italiennes sont parfaitement visibles.

Roche Faurio, puis le pic de Neige Cordier et enfin la pointe du Pic des Agneaux,
bien visible, le Pic Monetier, à gauche, plus bas, de plus faible altitude.

Après une bonne demi-heure passée à admirer ce somptueux et unique paysage, ce fut le chemin du retour. Nous appréciâmes la descente en neige de printemps qui permettait d'évoluer dans les meilleures conditions.

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Le pauvre petit chamois

Bientôt, en contrebas d'Adèle Planchard, le groupe s'engagea dans un couloir vaste, de largeur suffisante mais indispensable pour nos évolutions de descente, en larges boucles successives. Surprise, tout à coup, d'apercevoir, tout en bas, une petite troupe de chamois remontant et venant â notre rencontre, dans leur seule fuite possible, celle des sommets, mais sans leur célérité habituelle, les pattes s'enfonçant de trop dans une neige déjà mouillée. La troupe s'échelonna vite, sous l'effet de la terreur, les plus forts en avant et manifestement, un jeune peinant en queue. La tentation d'une chasse à coups de bâtons de ski s'imposa.

Mais, dans cette chasse, nous n'avions qu'une chance, celle de croiser, à vitesse de descente contrôlée, la proie, elle-même à vitesse de montée réduite par l'essoufflement, le taux de pente important et la neige ramollie. Réitérer un deuxième coup sur la même bête, après être remonté se replacer, était impossible. Le combat était égal, en quelque sorte. Seul l'échelonnement relatif des chamois pouvait permettre de tenter sa chance sur une autre cible.

Effectivement, aucun coup suffisant ne put être porté aux plus vaillants. Seul, le petit chamois, très lent dans son parcours et s'arrêtant souvent de fatigue, fut la cible de tous les passants.


Instant extraordinaire.

« Après mon unique essai de coup porté, sans succès, en direction du museau, au passage de notre bref croisement, en contre bas déjà, je pus stopper net et me retourner pour regarder droit dans des yeux paniqués, la pauvre petite bête, arrêtée à trois ou quatre mètres en amont, épuisée, la tête tournée vers l'agresseur, avant qu'elle ne reprenne son ascension. Je n'oublierai jamais ce moment et ce regard. »

René Méjean


Le pauvre petit chamois n'alla pas loin. Deux moniteurs, bredouilles jusque là, fonçaient déjà sur cette dernière proie qui s'offrait â eux. Le premier arrivé, d'un coup de bâton envoya le pauvre petit chamois au sol et le second, qui avait sorti son couteau, la fit passer de vie â trépas.

Tout joyeux de cette partie de chasse qui n'était pas prévue au programme et faisant glisser le chamois sur la neige pour le ramener au refuge, le groupe continua sa descente.

Cependant la journée était loin d'être terminée car à proximité du refuge, un moniteur remarqua un remue-ménage insolite.

Possédant des jumelles, il les braqua sur le refuge et constata que les jeunes chargés de préparer le repas, recevaient la visite de gendarmes venus de La Grave, alertés sans doute par les gens du village. Les pandores venaient, certainement, contrôler qu'il ne s'agissait pas de bandits ni de voleurs ni de "terroristes" mais seulement d'un groupe de skieurs faisant partie de Jeunesse et Montagne.

Bien sûr, il fut décidé d'un commun accord de cacher la victime â quelque distance du refuge et les skieurs arrivèrent en bon ordre pour saluer et bavarder un peu avec les représentants de la maréchaussée. Inutile de dire que, quelques instants après le départ des "visiteurs", des volontaires rechaussèrent leurs skis pour aller récupérer le pauvre petit chamois qui fut dégusté, avec beaucoup d'entrain, lors de notre retour à La Morte.


VI – Evolution : fin du centre de La Morte –
Evénements : Pétain –
Réflexions : que faire, qu’attendre ?


Lettre du 1er mars, j’écris :« Nous allons sûrement aller ailleurs, c’est confirmé ». Je raconte qu’une des équipes est partie pour Saint-Pierre d’Entremont, un des centres du groupement Savoie, et que beaucoup de volontaires ont été démobilisés. « On est presque entre soi et c’est mieux ainsi ! »

Comme le départ se profile, il n’y a aucune arrivée nouvelle.


Le capitaine Schneider qui commande le C2 est rappelé comme commandant de batterie de DCA, à Nîmes. En fait les Allemands nous laissent le soin de servir des batteries anti-aériennes. Cela sert les français, c’est sûr, mais eux aussi. Mais quel est l’état d’esprit de nos officiers ? Descendre des avions alliés n’est pas dans leur intention. Et les alliés doivent tout de même faire attention à ne bombarder que des zones de présence allemande ? Sûrement compliqué à gérer !


Quelques chiffres et des précisions sur l’orientation nouvelle !<:span>

« Ici, c’est assez complexe ! On était entassé à deux centres de 100 volontaires chacun. Or 200 types massés en un même lieu où il fait très peu beau, où il y a pléthore de chefs et pas de facilités pour élargir le périmètre des activités, cela ne donne rien. La Morte est considérée comme fonctionnant très mal ! Alors, le remède, d’abord diminuer les effectifs : d’où le départ d’une équipe pour la Savoie ! D’autre part les démobilisations : nombreuses en mars. Bref, le point donne 25 volontaires, soit une équipe au centre de Schneider qui s’en va et chez nous il ne restera plus que 45 types, soit deux équipes d’ici le 15 février.

Et bien sûr, quitter l’hôtel, vivre en équipes, séparées les unes des autres. Autrement dit, donner réalité à ce dont on parle si ouvertement : aller en Valgaudemar, de toute façon, ailleurs ! Le printemps est propice à cette mutation et chacun s’y prépare. »

Tout est encore interrogation. Et tout ceci fait l’objet permanent des sujets de conversation et de directives attendues.


Un intermède : Pétain à Grenoble

En attendant, nous sommes invités à participer, par notre présence, à la venue officielle de Pétain à Grenoble où il doit être présent le 19 mars ; je note les arrivées successives à renoble, pour cela, des jeunes de La Morte, de mon accueil à leur arrivée : ils sont logés au centre bas, dit « du Drac », parce que situé en bordure du Drac dans le faubourg sud de Grenoble. Ce centre est destiné au logement des volontaires à leur arrivée pour toute la partie d’incorporation, visites médicales et autres nécessités. Il est donc vaste, installé dans une usine désaffectée.


Je raconte la participation à un défilé avec les volontaires portant des skis et les chefs en grande tenue : pantalon bleu foncé, anorak de soie bleu clair, béret alpin. Je n’ai aucun souvenir de tout cela mais j’explique que nous avons été ensuite de la participation au service d’ordre en faisant une haie d’honneur.


Je raconte la densité de l’accueil : « Un monde fou, Des grappes humaines, des drapeaux partout. Moi j’étais dans le couloir de lapréfecture à l’entrée de la salle de réunion où attendaient toutes les personnalités quin’étaient pas du cortège officiel. Le maréchal est arrivé après avoir fait prêter serment (à qui ?) et est passé entre les haies que nous faisions, à dix centimètres de moi et je l’ai juste aperçu mais bien vu : il fait très soigné, sans beaucoup de rides, mais il avait l’air fatigué il est tout à fait comme sur ses photos. Ensuite il a serré beaucoup de mains en se faisant présenter les gens puis il est repassé devant nous pour prendre l’escalier, en face de nous, et retrouver ses appartements et se reposer. »


Je raconte la seconde haie sur la route de La Tronche pour son passage en voiture, à l’aller et au retour, pour sa visite officielle de l’après-midi à la maison de la Légion d’Honneur repliée de Saint-Denis (Paris) à Grenoble.

Retour à La Morte le lendemain 20 mars. : « Nous partons de Grenoble à 10 h seulement, voyage de deux heures pour une cinquantaine de kilomètres, midi à Séchilienne, repas puis vers 14 h montée, à pied bien sûr vers La Morte […] montée lente, tout est vert dans la vallée, c’est superbe ! La Morte n’est plus le bled perdu, […] s’il y a encore de la neige au col lui-même, elle disparaît très vite dès les premiers mètres de descente. »

Et surtout tout ce point sur la vie de ces temps de guerre : « Imagine que tu as beaucoup de choses à faire et très peu de moyens […] partir très tôt le matin rentrer très tard le soir […] on se sent très triste de sentir les difficultés se dresser sans cesse du fait de la situation si incertaine de notre époque ! […]»


Puis ces jugements sur cette époque :

« J’ai gardé un bon souvenir de ces journées à Grenoble, cette grande ville tellement pavoisée, avec tant de monde, c’est fou. Et puis pour ce qui concerne Jeunesse et Montagne, la présentation a donné quelque chose de bien : les gens n’en revenaient pas et cette armée de jeunes gens,skis sur l’épaule, bronzés, tous habillés pareil, faisait impression ! Mais aussi, une impression bizarre de snobisme de la foule : souvent elle manifestait, dans les moments les moins opportuns et on avait l’impression que c’était pour que, dans les journaux, le soir, on dise que la ville de Grenoble avait battu les records des hourras ! »

    Et plus loin ces phrases importantes de l’officier que je suis !

« Je garde aussi une impression de vide et c’est en relation avec ma propre situation. Je ne demanderai qu’une chose à partir de maintenant c’est le retour dans l’armée ! Jeunesse et Montagne c’est très bien mais c’est tout simplement de la rigolade ! Nous en discutions hier encore avec Travers, Robveille et Flamand, les trois petits camarades de Saint-Cyr !

Cela va bien un temps mais maintenant le but en est hors de ma portée ! Je n’ai jamais demandé à vivre en montagne ! J’étais candidat à ce mouvement au moment, le 15 août 1940, où on pensait à son organisation et à son encadrement pour donner un but à nos braves personnels démobilisés et désemparés. On avait besoin de cadres entraînés mais je ne compte pas devenir un chasseur Alpin avec tous les inconvénients de l’alpin et aucun avantage du chasseur !


Bien sûr, il y a une chose que beaucoup ne comprennent pas lorsqu’ils demandent leur réintégration ! Il y a les conditions d’armistice ; on a gonflé le nombre des réintégrations jusqu’à amener des tensions diplomatiques avec l’Allemagne (c’est un officier de Vichy qui le disait). Tous les officiers veulent réintégrer l’armée, mais c’est de plus en plus dur !


Cependant, j’espère encore pour Blida en Afrique du Nord, où il n’y a aucun Allemand et le fameux télégramme que l’on m’a envoyé ! Seulement je ne me fie pas à cette issue et je songe à cette possibilité où j'essaierai de rester, pour l’instant, à JM. »